Le Conseil Pasteur-Weizmann, fleuron de la collaboration scientifique entre la France et Israël
Entretien avec le Professeur Michel Goldberg
Entretien avec le Professeur Michel Goldberg
Depuis plus de quarante ans, le Conseil Pasteur-Weizmann suscite et soutient d’intenses collaborations entre chercheurs de deux prestigieux instituts de recherche dans leur lutte contre la maladie et pour le progrès de la science.
Comment cette institution est-elle parvenue à établir un jumelage si durable et efficace ? Quelle actualité et quel avenir pour les projets de recherche collaborative entre la France et Israël ? A l’heure où l’on rend hommage à la si brillante et productive carrière de Robert Parienti, Directeur général du Comité français de l’Institut Weizmann des Sciences et Délégué général du Conseil Pasteur-Weizmann pendant plus de quarante ans, le Professeur Michel Goldberg nous présente l’historique du Conseil Pasteur-Weizmann, les enjeux d’une collaboration unique placée sous le signe de l’excellence.
Ancien élève de l’Ecole Polytechnique, Professeur émérite à l’Institut Pasteur, Président honoraire du Conseil Pasteur-Weizmann, Michel Goldberg est la mémoire vive et précieuse d’une aventure scientifique hors du commun, qu’il continue d’animer avec passion et enthousiasme.
Si Pasteur-Weizmann réussit si bien à mobiliser tant de bonnes volontés, c’est me semble-t-il pour un ensemble d’excellentes raisons. Il faut d’abord considérer l’immense prestige, et le rayonnement, à l’échelle nationale et internationale, des deux instituts concernés, et la remarquable qualité et l’action inlassable des chercheurs qui mettent en commun leurs idées, leur savoir, leurs techniques, leur matériel au service d’une cause incontestable : la lutte contre la maladie et la souffrance.
J’ajoute que la clarté et la noblesse de ses objectifs ne peuvent laisser indifférents les hommes et les femmes de bonne volonté. Chercheurs et médecins, mais aussi artistes, personnalités politiques et célèbres hommes d’affaires, ou simples curieux devenus passionnés se retrouvent dans une sorte de famille, dont tous les membres apprécient la totale indépendance à l’égard des pouvoirs publics, mettant ainsi son action à l’abri des aléas de la politique ou des lourdeurs de leurs administrations. Cette communauté plurielle et ouverte de donateurs fidèles n’est pas indifférente à la totale transparence dans l’attribution des crédits, dans le strict respect de leur répartition 50%-50% entre les deux instituts et des avis des instances d’évaluation scientifique. Je précise qu’un remarquable « rendement » de la collecte de fonds, est aussi particulièrement apprécié des donateurs puisque plus de 85% des fonds recueillis sont effectivement affectés à la recherche. La communication active avec les donateurs qui sont, chaque année, informés par des scientifiques sur l’emploi des crédits et sur les progrès des travaux menés en commun, est indispensable.
Plusieurs accords entre nos universités, nos Grandes Ecoles, l’INSERM, l’Institut Curie, impliquant diverses institutions israéliennes (Universités, Institut Weizmann, Technion), ou encore l’AFIRST (Association Franco-israélienne pour la Recherche Scientifique et Technique) longtemps gérée par le CNRS, ont servi de cadre, et ont parfois permis de financer des collaborations actives entre universitaires des deux pays.
Mais aucune n’a connu la pérennité, la force et la notoriété internationale de la collaboration qui permet aux chercheurs de l’Institut Pasteur à Paris et de l’Institut Weizmann des Sciences à Rehovot (Israël) de mettre en commun leurs savoirs, leurs techniques et leurs enthousiasmes au service d’une cause commune.
A l’heure où nous célébrons l’immense carrière de Robert Parienti, comment ne pas évoquer d’abord celui qui, par un geste de défi exemplaire, a été à l’origine de la création du Conseil Pasteur-Weizmann : le Professeur André Lwoff, Prix Nobel de Médecine, président du Conseil d’Administration de Pasteur-Weizmann de 1974 à 1989. C’est en effet en réaction à l’exclusion d’Israël par l’UNESCO, qu’il jugeait inacceptable compte tenu du niveau exceptionnel de ce petit pays dans les domaines de l’éducation, des sciences et de la culture, qu’André Lwoff décida en 1971 de créer le « Comité International pour l’Universalité de l’UNESCO ». Constitué à l’origine par André Lwoff, Raymond Aron et Robert Parienti (alors Délégué Général de l’Institut Weizmann à Paris), ce comité recueillit rapidement l’adhésion de personnalités françaises et étrangères de premier plan du monde scientifique, artistique et culturel.
Pour tenter d’élargir l’assise de ce groupe, Robert Parienti demanda à être reçu par le Ministre de la Santé, Madame Simone Veil. Le 9 Décembre 1974, Madame Veil lui accorda une entrevue au cours de laquelle elle émit, pour la première fois, l’idée d’un jumelage entre l’Institut Pasteur et l’Institut Weizmann des Sciences et l’assura de son soutien actif pour le cas où cette idée serait retenue à Pasteur et à Weizmann.
Quelques semaines plus tard, dans le cadre des activités du Comité International pour l’Universalité de l’UNESCO, André Lwoff se rendit à l’Institut Weizmann en compagnie de Robert Parienti. Et c’est dans l’avion qui les emmenait vers Israël, au cours d’une discussion entre ces deux hommes qui cherchaient un moyen concret de rompre l’isolement imposé aux chercheurs israéliens, que naquit l’idée d’associer officiellement l’Institut Pasteur et l’Institut Weizmann dans la lutte contre le Cancer, une action incontestablement placée hors de portée de toute critique sectaire ou politique. Cette idée fut accueillie avec enthousiasme par les directeurs des deux instituts, les Professeurs Michael Sela (Institut Weizmann) et Jacques Monod (Institut Pasteur). Avec un courage politique hors du commun compte tenu de l’état des relations diplomatiques entre la France et Israël à cette époque, Simone Veil, alors Ministre de la Santé, accepta d’entrée de jeu de devenir Président d’Honneur du Conseil Pasteur-Weizmann. Elle n’a depuis jamais ménagé son temps et ses efforts pour apporter à cette institution un soutien inestimable, sans lequel Pasteur-Weizmann n’aurait sans doute pas survécu à l’enthousiasme des premiers instants.
La création du « Conseil Pasteur-Weizmann pour la Lutte contre le Cancer » fut annoncée le 28 Mars 1975 au cours d’une conférence de presse présidée par Mme. Simone Veil et le Professeur Jacques Monod (Prix Nobel de Médecine, Directeur de l’Institut Pasteur), orchestrée par Léon Zitrone et diffusée en direct par l’ORTF.
Depuis, plus de quarante ans ont passé, et la collaboration Pasteur-Weizmann continue. Elle se développe même, chaque année d’avantage. Elle est citée dans le monde entier comme exemple d’une collaboration scientifique internationale réussie.
On retrouve au répertoire des pionniers de la collaboration Pasteur-Weizmann des noms prestigieux : François Jacob (prix Nobel de Médecine), François Gros et Jean-Pierre Changeux, Professeurs au Collège de France, côté français, et côté israélien Michael Sela, Leo Sachs, Michael Feldman, Michel Revel pour n’en citer que quelques uns. Déjà, au cours de cette première phase de contacts « spontanés », des liens forts s’étaient tissés entre quelques excellents laboratoires de part et d’autre de la Méditerranée. Pasteur-Weizmann apportait un complément au budget de ces laboratoires, finançait des missions dans l’institut partenaire, et organisait chaque année un symposium international Pasteur-Weizmann.
Le prestige des chercheurs associés à Pasteur-Weizmann, la qualité des travaux réalisés dans leurs laboratoires et l’impact des colloques Pasteur-Weizmann ont largement contribué à établir la réputation du Conseil Pasteur-Weizmann. Mais, après un peu plus de dix années de cette collaboration, les Directions des deux Instituts ont souhaité renforcer encore ces liens et dynamiser la collaboration Pasteur-Weizmann en l’élargissant à un plus grand nombre de chercheurs, et en favorisant des contacts nouveaux.
Depuis le lancement de ce programme, 51 projets conjoints ont ainsi été financés, chacun pendant deux ans. Ils ont porté sur des sujets très variés, la plupart directement reliés à des études fondamentales ou appliquées reliées à la compréhension des processus pathologiques, à la prévention, au diagnostic et au traitement du cancer. Citons par exemple l’étude de molécules susceptibles de générer une nouvelle famille d’antibiotiques, l’étude du mécanisme de l’interféron dans le ralentissement de la prolifération de cellules cancéreuses, la compréhension à l’échelle moléculaire du mécanisme par lequel le virus de l’hépatite B provoque dans certains cas un cancer du foie, la mise au point d’une nouvelle stratégie d’immunisation pour le traitement par immunothérapie spécifique de certains cancers… Vous pouvez imaginez que nous avons fait des émules ! En Italie une institution « sœur », le « Comitato Negri-Weizmann », s’est créée en 1991 sur le modèle de Pasteur-Weizmann. Le partenaire italien de l’Institut Weizmann est l’Institut de Pharmacologie Mario Negri, une célèbre institution privée à but non lucratif dont le partenariat avec l’Institut Weizmann se renforce chaque année d’avantage.
Les moyens financiers proviennent tous, sans exception, du mécénat. Ils sont obtenus par plusieurs canaux différents. Pasteur-Weizmann organise chaque année de somptueux galas et manifestations, dans des lieux prestigieux (l’Opéra Garnier, le Palais de Versailles, le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, le Palais de la Monnaie, le court central de Roland Garros au moment du tournoi), autour de programmes artistiques remarquables (concerts classiques donnés par les plus grands orchestres dont le Philharmonique d’Israël, sous la baguette de meilleurs chefs comme Ricardo Mutti, Zubin Meta, et avec les plus remarquables solistes – Yehudi Menuhin, Mstislav Rostropovitch, Daniel Barenboim, Itzhak Perlman, Shlomo Mintz, Julia Miguenes, Jose van Dam, Ruggiero Raimondi, Montserra Caballé ; concerts de variétés avec des artistes comme Barbara Streisand, Frank Sinatra, Yves Montand, Enrico Macias, Patrick Bruel; défilés de mode au Pré Catelan; réception à l’Opéra de Paris, au Château de Versailles, et la liste est loin d’être complète). L’intégralité des recettes de ces galas est versée à Pasteur-Weizmann, les artistes offrant le plus souvent leur concours gracieusement, et les frais (voyages, hébergement, location de salles, publicité, …) étant intégralement pris en charge par des mécènes.
L’autre source de revenus, non moins importante, provient de dons faits par des donateurs, certains présents aux côtés de Pasteur-Weizmann depuis sa création, au nombre desquels on ne peut manquer de citer la Fondation Rothschild, la Fondation Simone et Cino Del Duca ou la Fondation Nahed Ojjeh pour la Science et la Paix, la Fondation Simone et Victor Pastor pour la Recherche Biomédicale, l’Institut Servier, plusieurs banques et institutions financières de stature internationale, pour ne citer que les « institutionnels ». De très grands hommes d’affaires aussi. Mais on ne doit pas pour autant oublier les nombreux et importants mécènes qui agissent à titre personnel. Au nombre de ces mécènes, il y a les industriels, les commerçants, les médecins, les avocats, les dirigeants d’entreprises, responsables d’associations (comme la Ligue Nationale contre le Cancer qui, chaque année pendant plus de vingt ans, a apporté une importante contribution au budget de Pasteur-Weizmann), ou tout simplement les gens de coeur, qui nous apportent les sommes importantes nécessaires au financement des programmes de recherche, des colloques, des échanges de chercheurs, des bourses. Il y a ceux aussi, artistes et animateurs, qui par leur participation active et bénévole, par leur talent, par leur renommée apportent un éclat exceptionnel aux manifestations de Pasteur-Weizmann et contribuent par là même à son rayonnement et à son prestige.
Grâce à cette structure unique, d’une totale indépendance, d’une très grande souplesse de gestion, les collaborations entre chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’Institut Weizmann peuvent aller de l’avant. Les limites de la connaissance reculent, le pouvoir de la science dans son combat contre la maladie et la souffrance augmente, l’espoir grandit de soulager et de guérir un plus grand nombre de patients.
Souhaitons que, bien au delà de ses quarante et quelques premières années, Pasteur-Weizmann s’inscrive dans la durée. Que son exemple soit suivi. Que son action se développe encore et maintienne le même niveau d’excellence. Qu’elle permette de concrétiser les espoirs qu’elle a fait naître. Que Pasteur-Weizmann demeure l’exemple vivant d’une collaboration scientifique internationale au plus haut niveau, insensible aux conflits politiques, culturels ou financiers entre États. Que les nouvelles générations prennent la relève de leurs aînés et poursuivent l’effort de contribuer à financer des projets cruciaux pour notre avenir, et pour l’avenir de nos enfants. Que Pasteur-Weizmann continue d’associer le monde des affaires, celui des arts et celui de la science avec pour unique objectif celui si bien défini par Madame Veil: « le Bien de l’Homme, au delà des frontières ».
– Simone Veil –