28 Août Bloquer la résistance peut réduire l’utilisation des insecticides
Des chercheurs ont examiné des centaines de composés grâce à un algorithme unique et ont découvert que l’un d’entre eux pourrait permettre aux fermiers de diminuer fortement leur utilisation d’insecticides.
Mouche australienne. Photo : docteur Andrew Kotze, CSIRO Agriculture, Australie
Partout dans le monde, des centaines de tonnes d’insecticides sont répandues dans les champs et sur les animaux d’élevage et ces quantités sont en constante augmentation. En effet, les insectes développent une résistance de plus en plus élevée aux produits chimiques. Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences, en collaboration avec des scientifiques australiens, ont découvert une façon de surmonter une forme commune de résistance à certains insecticides largement utilisés. Récemment publiées dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), ces découvertes pourraient aider à réduire drastiquement l’utilisation d’insecticide, la pollution environnementale et le coût de la lutte contre les insectes.
Beaucoup d’insecticides utilisés dans le monde fonctionnent comme des gaz neurotoxiques : ils tuent les insectes en bloquant une enzyme appelée acétylcholinestérase, ou AChE, qui joue un rôle crucial dans la transmission des signaux nerveux. Un des principaux mécanismes par lesquels les insectes deviennent résistants implique une mutation de l’une des enzymes appartenant à la famille de l’AChE.
Le docteur Nir London, du département de Chimie organique de l’Institut Weizmann, a eu l’idée de contrer ce mécanisme de résistance lors d’une conférence tenue par le professeur Colin Jackson de l’Université nationale australienne. L’équipe de ce dernier a déterminé la structure d’une enzyme qui, après avoir muté, impacte la résistance de la mouche australienne des moutons (Lucilla cuprina). Cette mouche engendre des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars par an à l’industrie du mouton en Australie. Le docteur London et l’équipe du professeur Jackson ont donc cherché une molécule qui bloquerait cette enzyme, rendant ainsi la mouche vulnérable à l’insecticide.
Dans ce projet collaboratif, le docteur London a utilisé un algorithme qu’il avait développé pour découvrir de petites molécules pouvant bloquer l’activité d’une enzyme – ou de n’importe quelle autre protéine – en formant un lien extrêmement fort avec son site actif. Avec l’étudiant diplômé Daniel Zaidman, il a étudié près de 23 000 composés disponibles sur le marché et contenant de l’acide boronique, connu pour se lier au site actif des protéines de la famille de l’AChE. En se basant sur les prédictions de l’algorithme, les scientifiques ont sélectionné cinq composés qui promettaient d’être les plus efficaces.
Le docteur Galen Correy du laboratoire du professeur Jackson a confirmé que ces cinq composés étaient effectivement de très puissants inhibiteurs de l’enzyme. Quand ils eurent défini les structures des complexes formés par chacun de ces composés avec l’enzyme, celles-ci correspondaient presque parfaitement à celles prédites par l’algorithme du docteur London. Les scientifiques ont ensuite utilisé ces structures pour améliorer ces composés.
Les chercheurs ont ensuite testé les nouveaux composés sur des mouches au stade larvaire. L’un des cinq composés s’est avéré particulièrement efficace pour tuer les larves. Quand il a été ajouté à un insecticide classique, celui-ci est devenu cinq fois plus efficace contre les mouches classiques, non résistantes – ce qui signifie qu’un cinquième de la quantité d’insecticide habituellement utilisée serait suffisant pour tuer le même nombre de mouches. Mais les résultats les plus surprenants ont été obtenus chez les mouches résistantes : en ajoutant ce composé, la quantité d’insecticide nécessaire pour tuer ces mouches était 16 fois plus faible !
« En fait, ce composé annule la résistance des mouches aux insecticides communément utilisés, » dit le docteur London.
L’entreprise BioTransfer, en France, a mené d’autres expériences montrant que ce composé était efficace contre un autre nuisible agricole largement répandu : le puceron vert du pêcher (Myzus persicae). Encore une fois, ce composé améliore de façon significative l’efficacité d’un insecticide classique, contribuant à vaincre la résistance du puceron aux produits chimiques.
Ce composé ne devrait pas être toxique pour les humains et les autres mammifères. Il n’interagit pas avec l’AChE humaine et les expériences en laboratoire ont montré qu’il n’avait pas ou peu d’effet sur les souris et sur les cellules humaines et ce même à forte concentration.
(de gauche à droite) Le professeur Alon Harmelin, Daniel Zaidman, le docteur Nir London et le docteur Silvia Carvalho
« Notre approche est efficace contre deux parasites agricoles mais elle pourrait être utilisée pour éliminer de nombreux autres nuisibles, » dit le docteur London. « Le plus important est que nous pourrions réduire de façon significative la quantité d’insecticide actuellement utilisée sans pour autant compromettre leur efficacité. »
D’autres scientifiques ont également participé à cette étude : le professeur Alon Harmelin du département de Ressources vétérinaires de l’Institut Weizmann, le docteur Silvia Carvalho du Centre national israélien Nancy et Stephen Grand pour la médecine personnalisée à l’Institut Weizmann, le docteur Peter D. Mabbitt de l’Université nationale australienne de Canberra, le professeur Peter J. James de l’Université de Queensland, le docteur Andrew C. Kotze du CSIRO (agriculture et nourriture) à St Lucia, Australie et le docteur Viviane Calaora de la société BioTransfer, Montreuil, France.
Les recherches du docteur Nir London sont financées par la Chaire de développement de carrière Alan et Laraine Fischer, le Centre intégré Moross pour la recherche contre le cancer, le Centre pour le design moléculaire Helen et Martin Kimmel, la Fondation Rising tide, le Fonds pour la recherche sur le cancer Joel et Mady Dukler, la succession Emile Mimran et Virgin JustGiving.