28 Août Électrique à l’extérieur
Des chercheurs découvrent un effet électrique dans un endroit improbable.
Titanate de strontium, image à résolution atomique
Un matériau couramment utilisé en électronique et dans d’autres domaines possède une double personnalité. Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences ont montré que la surface du titanate de strontium est très différente du cœur de ce matériau d’une façon jusqu’ici inconnue. Cette différence est si importante que la revue Nature lui a accordé une place dans sa section Nouveautés et Découvertes : « La surface d’un cristal se comporte comme un matériau distinct ».
Les cristaux de titanate de strontium sont si brillants qu’ils ont déjà été utilisés pour créer des gemmes artificielles mais actuellement, ils sont surtout connus comme substrats pour produire des transistors, des films minces d’oxyde et diverses nanostructures. Dans un article publié dans Advanced Materials, des chercheurs de l’Institut Weizmann ont également démontré que, bien que ces cristaux soient non-polaires, il existe en surface une couche nanométrique pyroélectrique – elle génère de l’électricité quand elle est chauffée. Cela indique que cette nanocouche est polaire, elle a des pôles électriques positif et négatif.
(de gauche à droite) Hagai Cohen, le professeur Meir Lahav, le docteur Irit Rosenhek-Goldian, le professeur Igor Lubomirsky, Evgeniy Makagon, le docteur David Ehre
Comprendre cette différence au sein des cristaux est indispensable pour la conception de différents appareils car la polarité électrique peut affecter fortement les propriétés d’un matériau. Les découvertes de l’Institut Weizmann doivent ainsi être prises en compte lors de la conception d’appareils contenant du titanate de strontium. On peut aussi envisager des implications plus larges suggérant l’existence d’une polarité à la surface d’autres cristaux inorganiques.
« La polarité de surface dans un matériau inorganique est un nouveau concept, » dit le professeur Igor Lubomirsky, du département matériaux et interfaces, chef de l’équipe de recherche. « Personne n’a pensé à chercher une telle polarité car cela semble contre-intuitif. »
Il y a quelques années, le professeur Lubomirsky et le professeur Meir Lahav du même département ont montré qu’une polarité dépendant de la température pouvait apparaître à la surface de cristaux organiques non polaires, comme les acides aminés glycine, la L-alanine et la DL-serine. Mais les cristaux inorganiques sont beaucoup plus symétriques que les cristaux organiques, ce qui faisait d’eux des candidats peu vraisemblables pour une polarité de surface qui, par définition, nécessite que cette symétrie soit détruite, par des distorsions dans la structure du matériau par exemple. Cependant, le professeur Lubomirsky et le professeur Lahav ont réalisé que cette symétrie est effectivement détruite dans des cristaux inorganiques – à leur surface – et ils ont alors émis l’hypothèse que, contre toute attente, une polarité pouvait exister dans des cristaux inorganiques non polaires.
Afin de confirmer cette hypothèse, les chercheurs devaient d’abord prouver que la pyroélectricité découverte dans un cristal inorganique venait intégralement de sa surface et non de sa masse – véritable défi technologique. Le docteur Elena Meirzadeh, alors en doctorat, et d’autres membres de l’équipe ont utilisé une installation spéciale construite dans le laboratoire du professeur Lubomirsky : elle permet de mesurer des courants électriques très faibles, de l’ordre de 10-12A ou 0,000000000001 ampères – soit des courants environ dix milliards de fois plus faibles qu’une pile AA standard – à des intervalles de plusieurs microsecondes (des millionièmes de seconde). Les chercheurs ont chauffé la surface de cristaux de titanate de strontium avec un faisceau laser changeant rapidement d’intensité et ont mesuré le courant électrique généré par le chauffage.
Ils ont découvert qu’un courant était effectivement produit, mais qu’il s’affaiblissait très rapidement ce qui suggère que ce courant n’était présent qu’au niveau de la couche la plus externe du matériau – de l’épaisseur d’un atome, soit environ un nanomètre.
Les chercheurs ont effectué d’autres expériences pour écarter la possibilité que le courant trouve son origine dans la masse du matériau plutôt qu’à sa surface. Au cours de l’une d’elles, ils ont déposé une couche ultrafine de silice non cristalline à la surface du titanate de strontium et ont découvert que la pyroélectricité disparaissait, confirmant un peu plus que celle-ci était bien un effet de surface.
La configuration expérimentale qui a aidé à révéler la pyroélectricité de surface des cristaux de titanate de strontium au niveau atomique
Après une analyse théorique de leurs découvertes, le professeur Lubormisky et ses collègues ont conclu que la pyroélectricité apparaissait à cause d’une distorsion de surface courante appelée « relaxation de surface » qui se produit dans de nombreux cristaux. Les chercheurs ont alors suggéré que la pyroélectricité de surface pourrait être présente dans une large gamme de matériaux. Ils ont également émis l’hypothèse qu’elle pourrait aider à concevoir des appareils multicouches au sein desquels la polarité des différentes couches serait exploitée pour de nouvelles propriétés, menant à des applications novatrices en électronique, en nanotechnologies ou en capture d’énergie.
Les découvertes des chercheurs de l’Institut Weizmann suggèrent aussi que la surface du titanate de strontium et d’autres cristaux inorganiques similaires pourrait nous révéler d’autres surprises. Le commentaire de la section Nouveautés et Découvertes de Nature suggère notamment que, bien que le titanate de strontium soit un isolant, sa surface pourrait s’avérer être l’un des cristaux polaires les plus prometteurs, un matériau exotique présentant des propriétés électroniques uniques. D’après ce commentaire, les découvertes de l’Institut Weizmann « indiquent que des métaux polaires pourraient être sous notre nez depuis le début, paradoxalement sur les surfaces d’isolants non polaires. ».
Plusieurs chercheurs ont participé à cette étude : Evgeniy Makagon et le docteur David Ehre du département interfaces et matériaux de l’Institut Weizmann, les docteurs Hagai Cohen et Irit Rosenhek-Goldian du département d’appui à la recherche en chimie de l’Institut Weizmann, le docteur Dennis V. Christensen, le docteur Arghya Bhowmik, le docteur Juan Maria G. Lastra et le professeur Nini Pryds de l’Université technique du Danemark, le professeur Erie H. Morales de l’Université Seton Hall et le professeur Andrew M. Rappe de l’Université de Pennsylvanie.
Les recherches du professeur Igor Lubomirsky sont financées par la fondation Angel Faivovich pour la recherche en écologie, la fondation de la famille Ullmann, la fondation Jacob et Charlotte Lehrman et la succession Olga Klein-Astrachan. Le professeur Lubormisky est détenteur de la chaire professorale Rowland et Sylvia Schaefer pour la recherche sur l’énergie.