13 Jan Pour la première fois, une méthode pour déterminer la personnalité d’un animal
Une étude sur des souris montre que la recherche animale pourrait devoir prendre en compte la connexion entre gènes, comportement et personnalité.
Quatre souris dans une cage bien garnie ont montré environ 60 comportements différents lors de l’évaluation
Les souris présentent un éventail de personnalités presque aussi riche que le nôtre. Le professeur Alon Chen et les membres des deux équipes qu’il dirige – l’une dans le département de Neurobiologie de l’Institut Weizmann des Sciences et l’autre dans l’Institut psychiatrique Max Planck à Munich (Allemagne) – ont décidé d’explorer plus précisément la personnalité des souris. Le but est de développer un ensemble de mesures objectives pour ce concept très vague. En effet, une compréhension quantitative des traits qui rendent chaque animal unique pourrait aider à répondre à certaines des questions scientifiques non résolues concernant les connexions entre gènes et comportement. Les découvertes de cette étude ont été publiées dans Nature Neuroscience.
Le docteur Oren Forkosh, postdoctorant qui dirige cette étude dans l’équipe du professeur Chen en collaboration avec le doctorant Stoyo Karamihalev, explique que, pour les scientifiques, comprendre comment la génétique contribue au comportement est une question sans réponse. Ils ont émis l’hypothèse que la personnalité pourrait être la « colle » qui les relierait : les gènes et l’épigénétique – qui détermine comment les gènes sont exprimés – contribuent à la formation de la personnalité. Et à son tour, la personnalité déterminera le comportement dans une situation donnée.
Par définition, la personnalité est unique pour chaque animal et reste plutôt stable tout au long de sa vie. Les sujets humains passent généralement des tests de personnalité sur des questionnaires à choix multiples mais pour les souris, les chercheurs ont dû travailler dans le sens inverse, en partant de l’analyse de leur comportement. Les souris étaient identifiées par des codes couleurs, placées par petits groupes dans un environnement de laboratoire classique – avec de la nourriture, un abri, des jouets, … – où elles pouvaient interagir et explorer librement. Ces souris ont été filmées pendant plusieurs jours et leur comportement a été analysé en profondeur. Les scientifiques ont finalement identifié 60 comportements distincts comme par exemple approcher les autres individus, les chasser ou les fuir, partager de la nourriture ou les en éloigner , explorer ou se cacher.
Le groupe a ensuite créé un algorithme informatique afin d’extraire des données de comportement les traits de personnalité des souris. Cette méthode fonctionne presque comme le test de personnalité en cinq parties utilisé pour les humains et dans lequel les sujets sont classés sur des échelles mobiles qui évaluent l’extraversion, l’amabilité, le sérieux, le névrosisme et l’ouverture à de nouvelles expériences. Pour les souris, les algorithmes développés par l’équipe ont révélé quatre échelles mobiles, et bien que les chercheurs aient réfréné leur envie d’assigner des libellés anthropomorphiques à ces évaluations, elles ressemblent beaucoup à celles des humains. Chaque échelle est linéaire avec les opposés à chaque extrémité. Quand l’équipe a assigné aux souris leur type de personnalité basé sur leurs notes pour chaque échelle, elle a découvert que chaque souris pouvait être considérée comme un individu unique, avec sa propre personnalité qui détermine fortement son comportement. Afin de valider la stabilité de ces valeurs, les chercheurs ont mélangé les groupes – une situation stressante pour les souris. Ils ont alors découvert que certains comportements avaient changé – parfois drastiquement – mais que ce qu’ils avaient assigné comme une personnalité restait identique.
Basé sur 60 comportements, un algorithme a découvert ceux correspondant à la personnalité et permis la création de quatre échelles permettant d’assigner une personnalité aux souris
Mais que peut-on apprendre d’une méthode d’évaluation de personnalité pour souris ? En travaillant avec le professeur Uri Alon du Département de Biologie cellulaire et moléculaire de l’Institut, l’équipe a utilisé les échelles linéaires ainsi établies pour tracer un « espace de personnalité » dans lequel deux des traits étaient comparés. Ce type d’analyse produit un triangle dans lequel les archétypes sont situés aux sommets (par exemple, très dominante et non commensale – les souris des champs, peu habituées à l’homme–, dominante mais commensale – les souris des villes– et subordonnée). Quand les traits sont observés de cette façon, ils peuvent mettre en évidence les compromis de l’évolution – par exemple, pour survivre et prospérer au sein d’une hiérarchie basée sur la dominance. « En fait, » dit le professeur Forkosh, « nous voyons que ces archétypes – et toutes leurs nuances – sont plutôt naturels. Ces traits ne sont pas apparus uniquement chez nos souris, même si elles sont issues de plusieurs générations ayant vécu en laboratoire et qu’elles ne pourraient probablement pas survivre dans la nature. »
De plus amples analyses transcriptionnelles ont permis de développer un modèle associant gènes et comportement, identifiant ainsi un certain nombre de gènes associés à certains traits de personnalité répertoriés précédemment.
« Cette méthode va ouvrir la voie à de multiples études, » dit le professeur Forkosh. « Si nous pouvons identifier la génétique des personnalités et la façon dont nos enfants héritent de certains aspects de leur personnalité, nous pourrions aussi être capable de diagnostiquer et de traiter les problèmes liés au mauvais fonctionnement de ces gènes. Nous pourrions même, dans le futur, être capable d’utiliser ces connaissances pour développer une psychiatrie plus personnalisée, par exemple, pouvoir prescrire le bon traitement pour une dépression. Nous pouvons aussi utiliser cette méthode pour comparer la personnalité d’une espèce à l’autre et ainsi en apprendre plus sur les animaux qui partagent notre monde. »
Le professeur Alon Chen est le Président élu de l’Institut Weizmann des Sciences. D’autres personnes ont également participé à cette étude : Sergey Anpilov et Yair Shemesh de l’Institut Weizmann des Sciences et de l’Institut psychiatrique Max Planck, Markus Nussbaumer, Cornelia Flachskamm, Paul M. Klapick et Simone Roeh de l’Institut psychiatrique Max Planck et Chadi Touma de l’Université d’Osnabrück (Allemagne).
Les recherches du professeur Alon Chen sont financées par la Chaire professorale en Neurobiologie Vera et John Schwartz, le laboratoire pour la recherche en Neurobiologie du stress de la Famille Ruhman, la Fondation de la Famille Perlman, créée par Louis L. et Anita M. Perlman, Bruno Licht et Sonia T. Marschak.