27 Nov Ignorez ce Message : Lien entre Grossesse et Anorexie
Des chercheurs ont découvert une molécule qui « programme » une tendance à développer un trouble alimentaire.
Le Professeur Alon Chen : le stress pendant la grossesse pourrait être une protection contre l’anorexie
Les graines de l’adolescence sont plantées bien avant la naissance – pendant la grossesse – et les messages qui passent de la mère à l’enfant à naître peuvent avoir une influence énorme sur sa vie future. Mais quels sont exactement ces messages ? Et comment se transmettent-ils ? Une nouvelle étude de l’Institut Weizmann des Sciences révèle l’un des mécanismes de cette communication : de petites molécules d’ARN ont une influence sur le risque de développement d’un trouble alimentaire chez l’adolescent. Les résultats de cette étude ont été récemment publiés dans Nature Communications.
« Les messages qu’une mère transmet à son fœtus peuvent l’aider à survivre, » explique le professeur Alon Chen du département de Neurobiologie. « Par exemple, si la nourriture n’est pas assez abondante, les messages peuvent dire au fœtus de se développer de façon économique et de ralentir son métabolisme. » C’est une sorte de programmation : les messages sont internalisés et font partie du plan de croissance de l’enfant. Parfois cependant, il peut y avoir un déséquilibre entre le message et la réalité. « Si le métabolisme d’un jeune a été programmé pour être économe et lent mais que son environnement lui offre beaucoup de nourriture, il pourrait avoir tendance à devenir obèse et développer un syndrome métabolique, » dit le Professeur Chen.
Des études précédentes réalisées dans le laboratoire du Professeur Chen ont révélé qu’il existait un lien entre le stress pendant la grossesse, les messages transmis de la mère au fœtus et les troubles alimentaires. Cette dernière étude, menée par le docteur Mariana Schroeder, ancienne postdoctorante de l’Institut Weizmann des Sciences qui dirige actuellement un projet à l’Institut Max Planck pour la Psychiatrie, se concentre sur un trouble de l’alimentation en particulier : l’anorexie mentale, une maladie psychiatrique ayant le taux de mortalité le plus élevé de toutes les maladies mentales. Touchant dix fois plus les femmes que les hommes, l’anorexie apparaît en général à l’adolescence. Jusqu’ici, on pensait que ce trouble était lié à du stress pendant la petite enfance ou à la culture occidentale qui impose les corps jeunes et minces comme un critère de beauté. Mais les recherches du Professeur Chen suggèrent que le risque de développer un tel trouble pourrait trouver son origine pendant la grossesse.
Être immunisé contre un trouble alimentaire
Fœtus de souris et placenta. Les taux de micro-ARN (vert fluorescent) changent avec le stress
Pour explorer cette piste, les chercheurs ont créé des souris qui ont tendance à montrer des signes de ce trouble alimentaire. Comme chez les humains, le trouble est plus fréquent chez les souris femelles et apparait vers la puberté. Mais contrairement aux prévisions des scientifiques, les souris femelles dont les mères avaient été stressées pendant leur grossesse n’ont pas développé de trouble anorexique en atteignant la puberté. « En fait, il semble que le stress pendant la grossesse immunise la progéniture contre l’anorexie, » dit le Professeur Chen.
Y a-t-il donc des messages anti-anorexie sont transmis de la mère au fœtus ? Les chercheurs ont examiné le placenta – organe par lequel circulent les messages, la nourriture et l’oxygène de la mère vers l’embryon. Ils soupçonnaient que les messages seraient portés sous la forme de micro-ARN – une petite molécule qui régule la production des protéines – et ont donc cartographié le taux de tous les micro-ARN dans le placenta. Ils en ont identifié un dont le taux chutait après une période de stress chez la mère. Cette molécule est généralement liée au sexe du fœtus : les femelles y sont dix fois plus exposées que les mâles. Ainsi, face au stress, les embryons femelles peuvent devenir plus mâles et être alors mieux protégés face au développement d’une anorexie future.
Les recherches du Professeur Chen suggèrent que le risque de maladie pourrait trouver son origine dans la grossesse
Afin de comprendre comment le taux de cette molécule peut influencer le développement futur de l’anorexie, les chercheurs ont modifié génétiquement les mamans souris afin que le micro-ARN identifié soit surexprimé dans le placenta. Ils ont alors découvert que la fréquence d’apparition d’anorexie était plus élevée pour les deux sexes : 70% des femelles et 50% des mâles en étaient atteints contre 40% et 10% respectivement dans le groupe témoin.
« D’une part, le développement peut mieux préparer l’embryon à l’environnement auquel il devra s’adapter, mais d’autre part, il est aussi extrêmement protégé dans l’utérus, il est même protégé des changements d’humeur de sa mère, » explique le Professeur Chen. « Le placenta est un filtre et peut par exemple neutraliser le cortisol, hormone du stress, avant qu’il n’atteigne le fœtus. »
Protéger et contrôler
Les chercheurs ont découvert que le micro-ARN identifié affecte le niveau de synthèse de protéines qui jouent un rôle important dans le fonctionnement du placenta, ce qui peut ensuite provoquer des changements majeurs dans l’expression des protéines dans l’hypothalamus du fœtus en développement. L’hypothalamus régule notamment notre alimentation et cette partie du cerveau en particulier est liée à l’anorexie.
« Nous avons tendance à penser que le placenta n’est qu’un système de vaisseaux sanguins, » dit le Professeur Chen, « mais il est bien plus que ça. Ce que vivent les mères peut être transmis au fœtus – ou bloqué avant que cela ne l’atteigne – et les messages qui font partie de la programmation pendant cette période peuvent avoir une influence énorme sur la santé et le développement futur de l’enfant. Nous savons que les changements au moment de la puberté peuvent déclencher des problèmes de santé mentale mais avec cette étude, nous avons montré que les tendances à développer ces problèmes peuvent trouver leur origine dans les messages que les adolescents ont reçus bien avant leur naissance. »
Le Professeur Alon Chen dirige le Centre pour la Recherche sur les Fonction Supérieures du Cerveau Murray H. et Meyer Grodetsky, le Centre pour les Neurosciences Nella et Leon Benoziyo et le Centre pour l’Imagerie Cérébrale Norman et Helen Asher. Les recherches du Professeur Chen sont financées par la Fondation de la Famille Perlman, fondée par Louis L. et Anita M. Perlman ; la Fondation Adelis ; la fondation familiale Appleton ; Mr et Mme Bruno Licht ; la succession de Louis J. Marschak ; et le Laboratoire pour la Recherche en Neurobiologie du Stress de la Famille Ruhman.