15 Nov Le Cristal Tueur
Comment une substance utile comme le cholestérol peut devenir mortelle ?
Rendu volumique des données cryo-SXT segmentées de quatre cristaux différents venant de plusieurs cellules, montrant une morphologie hélicoïdale enroulée.
Parler de « mauvais cholestérol » est un abus de langage : le cholestérol est un des composants de base de la vie. En fait, il fournit l’élasticité nécessaire à la matière grasse qui compose les membranes de nos cellules. Même le cholestérol LDL, connu pour être l’un des facteurs de risque de l’insuffisance artérielle, n’est pas vraiment « mauvais » en tant que tel. On appelle LDL l’emballage qui aide le cholestérol à circuler dans le sang ; le cholestérol moléculaire qui se fixe sur les parois des vaisseaux sanguins peut même être éliminé. Les problèmes commencent quand des cristaux de cholestérol apparaissent; ceux-ci forment des plaques qui provoquent des lésions et des dommages irréversibles menant à de l’athérosclérose et éventuellement à des maladies ou des crises cardiaques, première cause de mortalité dans le monde. Dans une étude récemment publiée dans la Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), une équipe de l’Institut Weizmann des Sciences et leurs collègues ont montré que ces cristaux néfastes de cholestérol se forment de deux façons différentes dans les cellules immunitaires favorisant alors involontairement la progression de la maladie.
Un enchainement d’évènements pathologique
Quand le taux de LDL dans le sang est trop élevé, une partie de ce LDL est déposée sur les parois des vaisseaux sanguins. Là, le cholestérol subit un changement chimique – une oxydation – qui le rend toxique pour les cellules composant les parois des vaisseaux sanguins. Reconnaissant le danger, le système immunitaire envoie son équipe de nettoyage : des cellules ressemblant à « Pacman » appelées macrophages qui « mangent » les composants indésirables présents dans notre corps. Mais ces cellules peuvent se suralimenter et deviennent des « cellules spumeuses » enflées qui meurent rapidement. Ainsi, à l’endroit de la lésion d’origine, on trouve une accumulation de restes de cellules spumeuses mortes et de molécules graisseuses intactes, ce qui accentue l’inflammation et entraîne la formation de cristaux de cholestérol.
Le Professeur Lia Addadi du département de Biologie Structurale de l’Institut : « L’accumulation de cristaux de cholestérol est une étape clef d’une chaîne pathologique d’évènements comprenant notamment la mort de cellules, l’inflammation et le début d’une maladie artérielle. Nous avons découvert que ces cristaux peuvent se former très tôt dans cette chaîne. »
Des cristaux en forme d’aiguille dans les cellules
Le docteur Neta Varsano du laboratoire du professeur Addadi et qui dirige cette étude, ajoute : « Les cristaux sont observés à l’extérieur mais aussi à l’intérieur des macrophages ; il a été difficile de comprendre précisément quand ils commencent à se former. » Le docteur Varsano et son équipe de recherche, en collaboration avec le laboratoire du professeur Leslie Leiserowitz du département Matériaux et Interfaces de l’Institut, ont élaboré une méthode pour suivre ce processus.
(de gauche à droite) Le docteur Tali Dadosh, le professeur Leslie Leiserowitz, le docteur Nadav Elad, le docteur Iddo Pinkas, le docteur Neta Varsano et le professeur Lia Addadi
Afin d’observer le processus de cristallisation en laboratoire, l’équipe a cultivé des macrophages et leur a ajouté du cholestérol LDL. Elles ont ensuite été observées grâce à une combinaison de méthodes comprenant de la microscopie à fluorescence haute résolution et un type d’imagerie cryogénique à rayons X qui a permis d’obtenir des images détaillées en trois dimensions des cristaux et de suivre le début de leur croissance.
Les premières structures cristallines détectées faisaient environ 200 nanomètres ; c’étaient de fines plaquettes plates en forme de losange visibles dans les membranes des cellules. Mais les scientifiques ont ensuite découvert un second type de cristal – d’une dizaine de microns, allongés et en forme d’aiguilles – à l’intérieur des cellules. Ces cristaux semblent agir comme des aiguilles qui piquent les membranes des cellules et les rompent. Le Professeur Addadi précise que ces cristaux étaient une véritable surprise car ils n’avaient jamais été observés dans les précédentes études in vitro des cristaux de cholestérol.Avec le docteur Nadav Elad du département de Soutien à la Recherche en Chimie de l’Institut, ils ont caractérisé la structure cristalline de chaque type de cristal. Chacun a sa propre structure interne : les cristaux plats présentent une structure cristalline triclinique tandis que les cristaux allongés présentent une structure cristalline monoclinique. Ils ont aussi remarqué que les cristaux allongés s’organisaient autour d’un tube cylindrique ou étaient étrangement hélicoïdaux. Des cristaux similaires avaient déjà été observés en lien avec la formation de calculs biliaires.
Le Docteur Varsano dit : « Même si leur structure interne subit des changements, nous pensons que les cristaux gardent leur forme originale en continuant leur croissance dans les lésions artérielles. Cela signifie que nous pouvons observer ces cristaux sous forme d’échantillons et comprendre comment et quand ils se sont formés. » Des recherches supplémentaires sont nécessaires afin de comprendre complètement la façon dont cette substance utile se transforme en cristal tueur mais l’équipe de recherche continue de travailler sur un modèle expérimental – par exemple, en comparant des échantillons venant de différents êtres humains afin de voir si les cristaux se forment à l’identique chez tout le monde ou s’il existe des variations.
Plusieurs personnes ont participé à cette étude : les docteurs Tali Dadosh et Iddo Pinkas du département de Soutien à la Recherche en Chimie de l’Institut ; Fabio Beghi de l’Université de Milan ; les docteurs Eva Pereiro et Ana Perez-Berna du synchrotron ALBA en Espagne ; et le professeur Howard Kruth de la Section expérimentale sur l’athérosclérose de l’Institut National du Cœur, des Poumons et du Sang, les Instituts Nationaux de Santé et les membre de son équipe.
Réalisations principales et collaborations proches
Le professeur Lia Addadi a eu une longue et fructueuse carrière dans la recherche sur les différents modes d’action des cristaux chez les êtres vivants. Elle a récemment été élue membre de l’Académie des Sciences américaine et cette étude est sa première publication en tant que tel dans la Proceedings of the Academy of Sciences (PNAS). « Ce travail intègre l’ensemble de mes réflexions et de mes méthodes de recherche jusqu’ici. Il combine des techniques de chimie organique et de cristallographie avec des technologies d’imagerie de pointe, et ce en collaboration étroite avec mes collègues experts dans les différents aspects de ce travail. »
Le professeur Lia Addadi est la Conseillère du Président pour l’Avancée des Femmes en Science. Elle est détentrice de la chaire professorale Dorothy et Patrick Gorman.