Une rencontre avec Einstein

La carrière du professeur Ada Zamir, à travers recherches innovantes et lauréats du prix Nobel.

Le professeur Ada Zamir en 1972 à l’Institut Weizmann des Sciences

Le professeur Ada Zamir se rappelle encore son premier jour de travail à l’Institut Weizmann des Sciences, au milieu des années 1960, enthousiaste à l’idée de commencer ses recherches avec le professeur David Elson. La secrétaire du Département de Biochimie lui avait indiqué vertement qu’elle ne serait jamais capable de diriger son propre groupe de recherche au sein de l’Institut. Ada était alors rentrée chez elle, déconcertée ; mais heureusement pour elle, la secrétaire se trompait. La faculté l’a accueillie à bras ouverts et a n’a jamais cessé de l’encourager.

Ada Zamir, née Kleinman, est née à Tel Aviv d’un père polonais immigré en 1920 et d’une mère russe arrivée en 1926. Le père d’Ada était maroquinier et la famille vivait de son petit atelier situé rue Levinsky. Son père a ensuite étendu son activité et s’est mis à vendre toutes sortes d’objets en cuir – des ceintures, des sacs, des valises – et sa mère aidait à la boutique. Ada était fille unique et ses parents l’avaient inscrite dès la 6ème dans le prestigieux Herzliya Gymnasium – un lycée sélectif. En retour, Ada a fait la fierté de ses parents, en excellant dans ses études.

La guerre d’indépendance éclata quand Ada était au lycée. Chaque matin, le principal faisait un discours sur le Sionisme et l’amour du nouveau pays.  Ada se souvient encore de sa voix, vibrante de sentiments quand il disait que « nous nous accrocherons à cette terre par tous les moyens ». C’est au lycée qu’Ada tombe amoureuse de la chimie et décide de continuer dans ce domaine.

Aussitôt après le lycée, Ada s’engage dans l’armée au sein de l’unité Nahal qui fondera le kibboutz Tel Katzir. Pendant son entraînement au kibboutz Degania, un de ses compagnons d’arme lui annonce qu’il avait été choisi pour une mission aux Etats-Unis mais que la jeune femme qui devait l’accompagner avait renoncé. Ada lui suggère par plaisanterie de l’emmener à sa place et il prend cette suggestion au sérieux. Elle apprend donc qu’elle devrait représenter Israël auprès de différents groupes aux États-Unis.

Elle s’envole pour les États-Unis en décembre 1949 et y restera trois mois. Elle avait seulement des documents de voyage, son nouveau pays n’ayant pas encore de passeports, et, pour Ada, le voyage qui durait alors 36 heures aurait tout aussi bien pu la transporter sur Mars. Aux États-Unis, chaque membre du groupe Israélien restait deux semaines au même endroit donnant des conférences sur Israël devant des groupes locaux. Lors de son étape dans le New Jersey, son hôte, impressionné par la jeune femme brillante, décide qu’elle devrait rencontrer Albert Einstein. Bien qu’il ne connaisse pas personnellement Einstein, il l’appela de sa part à elle pour demander un rendez-vous et Einstein finit par inviter Ada chez lui.

En 1950, elle commence ses études de chimie et de microbiologie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Elle obtient son master en biochimie sous la direction du professeur Noah Lichtenstein avec son mémoire portant sur les mesures de l’acide glutamique. C’est à cette époque qu’elle se marie à David (Dudik) Zamir, un étudiant en physique.

Le couple déménage à Haifa pour le travail de David, mais Ada doit prendre une pause forcée dans ses recherches, le Technion n’ayant pas encore de département en sciences de la vie. Pendant cette pause nait sa fille, Yael. Le premier laboratoire de biochimie ouvre là bas en 1957, dirigé par le professeur Ruth Ben-Ishai. Ada se joint à elle et devient alors la première étudiante de la faculté des sciences de la vie du Technion. Le matériel est rudimentaire et les conditions loin d’être idéales mais Ada y finit tout de même son doctorat, ses travaux portant sur des voies métaboliques.

La famille d’Ada l’accompagne dans l’étape suivante de sa carrière : un postdoctorat à l’Université Cornell, aux Etats-Unis, où elle travaille sous la direction du professeur Robert Holley ; pendant ce temps, David mène à bien son propre postdoctorat au sein du département de physique de l’Université Cornell. Le domaine du professeur Holley était les ARN de transfert ; il fut le premier à découvrir ces molécules et à élucider leur rôle dans la synthèse des protéines. Le travail d’Ada dans son laboratoire a contribué au déchiffrage du code génétique de ces ARN. Pendant cette période, enceinte de son fils Gidéo, Ada doit se dépêcher de finir ses recherches sur la séparation des acides nucléiques pour leur séquençage. En 1968, le professeur Holley reçoit le Prix Nobel pour cette découverte.

En 1964, Ada rejoint le groupe d’Elson à l’Institut Weizmann des Sciences  et fait de la recherche sur les ribosomes – les usines de protéines cellulaires. Elle fait alors équipe avec le professeur Meir Wilchek, collaboration  qui, avec les années, s’approfondira et portera ses fruits. C’est pendant cette période qu’elle donne naissance à son troisième enfant, Naomi. Avec Elson et le professeur Ruth Miskin, Ada développe une méthode d’activation des ribosomes. Cette découverte aidera le professeur Ada Yonath de l’Institut Weizmann dans son travail sur la résolution de la structure des ribosomes – travail qui lui fera remporter le Prix Nobel en 2009.

Le professeur Zamir en 1998

Le laboratoire du professeur Zamir était juste à côté de celui du professeur Mordhay Avron qui avait isolé et étudié les algues unicellulaires Dunaliella. Cette algue a la particularité de survivre dans les conditions extrêmes de la Mer Morte. Le professeur Zamir qui travaille avec d’autres chercheurs de l’Institut, découvre l’enzyme qui permet aux Dunaliella de vivre dans l’environnement hostile et salé de la Mer Morte. Étonnamment, ses découvertes ont aussi pu donner une idée de la façon dont les reins, qui doivent gérer de hautes quantités de sel, fonctionnent.

Le professeur Zamir a été la première femme à diriger le Conseil Scientifique de l’Institut (de 1985 à 1987) ; elle a aussi dirigé le Département de Biochimie et le Centre pour la Biotechnologie Végétale Charles et Tillie Lubin. Elle fait partie du Conseil sur l’Enseignement Supérieur israélien et est la doyenne de la Faculté de Biochimie-Biophysique (qui change de nom et de structure en 1990, pendant son second mandat).

En plus d’avoir participé aux travaux de deux Prix Nobel, le travail du professeur Zamir a contribué au développement de nouveaux domaines scientifiques très spécialisés. Elle continua de travailler dans les sciences de nombreuses années après sa retraite. Elle attribue notamment son succès au caractère unique de l’Institut Weizmann, où la liberté de choix est offerte et où la collaboration entre les scientifiques de différents domaines est encouragée. Le professeur Zamir est toujours en contact avec nombre de ses anciens étudiants et est fière de leur réussite, comme celle du professeur Nahum Sonenberg, professeur à l’Université McGill de Montréal (Canada), qui a notamment obtenu le prix Wolf en médecine.



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