24 Oct Le Lien entre Obésité et Infection
Image ci-dessus : Protéines impliquées dans la barrière intestinale du colon des souris (cadhérine E en vert)
Les bactéries de nos intestins ferment ce triangle
Le lien entre obésité et infection. L’équipe du Prof. Eran Elinav a montré sur des souris que l’hyperglycémie et non l’obésité est le facteur déterminant entraînant des infections bactériologiques dont sont anormalement sujettes les personnes obèses. Ces recherches vont être poursuivies dans deux buts différents 1. Déterminer l’impact d’un bon contrôle de l’hyperglycémie sur la fréquence des infections bactériologiques 2. Améliorer la compréhension des maladies liées aux barrières intestinales défectueuses
L’obésité et le diabète se maintiennent en tête de la liste des menaces sanitaires actuelles. Plus de deux milliards de personnes sont touchées dans le monde, et plus de trois millions de décès par an sont liés à des complications associées à l’obésité. Les effets négatifs de l’obésité et du diabète ne sont pas généralement causés par l’excès de poids lui-même mais par les effets secondaires de l’obésité qui augmentent considérablement la sensibilité aux inflammations et aux infections. Les personnes en surpoids ou obèses courent le risque de contracter des infections microbiennes et développent souvent des complications inflammatoires – la stéatose hépatique non-alcoolique par exemple, ou l’inflammation des vaisseaux sanguins qui conduit à l’athérosclérose et à des maladies cardiaques. Comprendre comment l’obésité provoque ces dangereux effets secondaires et se transforme en une maladie dévastatrice potentiellement mortelle est crucial pour empêcher le décès prématuré des personnes obèses. Cependant, on ne connait pas grand-chose sur les détails moléculaires qui lient l’obésité chronique à l’inflammation et à l’infection, empêchant ainsi le développement de stratégies thérapeutiques et préventives.
L’hyperglycémie et les bactéries intestinales
L’équipe du Professeur Eran Elinav du Département d’Immunologie de l’Institut Weizmann des Sciences a trouvé une explication surprenante à ce phénomène. Dans une étude publiée dans Science, le Professeur Elinav et ses collègues ont utilisé des modèles de souris atteintes de maladies métaboliques pour étudier la relation entre l’obésité et le risque élevé d’infection. Ils ont constaté que les souris obèses montrent non seulement une accumulation radicale de produits bactériens dans leur sang et leurs organes internes mais qu’elles sont aussi extrêmement sensibles aux infections orales par des bactéries pathogènes. Mais l’histoire a pris une autre tournure quand les scientifiques ont mis les souris obèses au régime : en effet, leur sensibilité aux infections sévères est restée la même ! Cela a donc démontré que l’adiposité elle-même n’était pas la cause de cette complication mortelle. Au contraire, l’équipe du Professeur Elinav a plutôt montré que l’hyperglycémie était le facteur décisif permettant aux bactéries intestinales d’envahir le sang et de causer de graves infections.
(de gauche à droite) Derrière : le Docteur Christoph A. Thaiss, Eliran Soffer, le Professeur Eran Elinav, Maya Zur et Dana Lehavi-Regev. Devant : les Docteurs Eran Blacher, Hagit Shapiro et Danping Zheng
Chez un individu sain, la glycémie (niveau de sucre dans le sang) est maintenue à un taux très stable grâce à plusieurs mécanismes de contrôle du corps.
Par contre, les maladies métaboliques comme l’obésité et le diabète sont souvent accompagnées d’une glycémie élevée chronique. Le Docteur Christoph Thaiss, un postdoctorant du laboratoire du Professeur Elinav ayant dirigé cette étude, a étudié le mécanisme par lequel l’hyperglycémie conduit à un risque accru d’infection. Il a montré que des taux élevés de sucre dans le sang altèrent la fonction des cellules épithéliales intestinales.
Ce type de cellules tapisse le tractus gastro-intestinal et forme une barrière fine entre le corps et l’intérieur de l’intestin, qui est colonisé par une grande quantité de bactéries communes. Les cellules épithéliales de l’intestin ont donc la tâche complexe de permettre aux particules de nourriture de pénétrer dans le corps tout en maintenant les bactéries potentiellement dangereuses dans l’intestin. Grâce à une technologie de pointe développée avec l’équipe du Professeur Benjamin Geiger, lui aussi de l’Institut Weizmann des Sciences, les chercheurs ont pu montrer que l’hyperglycémie est « ressentie » par ces cellules épithéliales intestinales, provoquant de profonds changements de leur expression génique et une altération de la fonction indispensable au maintien d’une barrière étroite entre le corps et l’intérieur de l’intestin. Le Docteur Thaiss et ses collègues ont découvert que dans le scénario de l’obésité et du diabète, la forte teneur en sucre fait que la frontière entre les cellules épithéliales intestinales devient perméable, permettant ainsi aux bactéries intestinales et à leurs produits d’entrer dans le flux sanguin ce qui a des conséquences néfastes pour la santé.
Protéines (ZO1 en rouge) impliquées dans la barrière intestinale du colon des souris
L’équipe du Professeur Elinav a également étudié la relation entre l’hyperglycémie et l’invasion microbienne chez l’homme. Ils ont recruté une cohorte de bénévoles pour des tests sanguins comprenant une analyse de la glycémie et de la présence de molécules bactériennes. Comme chez les souris, on a constaté une forte corrélation entre la glycémie élevée chronique et la présence de produits bactériens dans le sang. Par contre, il n’y avait aucune corrélation entre les signes de la présence de bactéries et le surpoids ou l’adiposité ; cela démontre que le surpoids est un facteur beaucoup moins influent que la glycémie pour la perméabilité de l’intestin.
Ces études apportent une réponse possible à la question de savoir pourquoi l’obésité est souvent accompagnée d’un risque d’infection sévère. Cela suggère aussi que les stratégies pour contrôler soigneusement l’hyperglycémie peuvent être efficaces dans la prévention des effets secondaires liés à l’obésité. Le Docteur Thaiss, le Professeur Elinav et leurs collègues supposent que les explications moléculaires qu’ils ont découvertes dans ces études peuvent contribuer à une meilleure compréhension d’autres maladies liées aux barrières intestinales défectueuses, comme l’inflammation chronique du foie, les allergies alimentaires et d’autres pathologies.