24 Oct Le « cerveau en boîte de culture » révèle comment se forment les plis du cerveau
Un nouveau modèle de développement du cerveau où se rejoignent la physique et la biologie
Être né dans un état de « tabula rasa » (table rase) est, pour ce qui est du cerveau, une véritable malédiction. Notre cerveau est déjà plissé comme une noix au moment de notre naissance. Les bébés nés sans ces plissements – le syndrome du cerveau lisse – sont atteints de graves déficiences développementales et leur espérance de vie est considérablement réduite. Le gène responsable de ce syndrome a récemment aidé les chercheurs de l’ Institut Weizmann des Sciences à étudier les forces physiques qui provoquent la formation des plissements du cerveau. Dans leurs résultats, rapportés aujourd’hui dans Nature Physics, les chercheurs décrivent la méthode qu’ils ont mise au point pour provoquer, à partir de cellules humaines, le développement de minuscules « cerveaux en boîte de culture » où ils ont pu observer les mécanismes physiques et biologiques sous-jacents au processus de plissement.
Ces minuscules cerveaux cultivés en laboratoire à partir de cellules souches embryonnaires et qu’on appelle organoïdes, ont été mis au point au cours de la dernière décennie par les Pr. Yoshiki Sasai au Japon et Juergen Knoblich en Autriche. La Pr. Orly Reiner du Département de génétique moléculaire de l’Institut raconte que son laboratoire, comme beaucoup d’autres, avait fait sienne l’idée de cultiver des organoïdes. Mais le Dr Eyal Karzbrun, qui travaille dans son laboratoire, a dû mettre un bémol sur cet enthousiasme : les tailles des organoïdes obtenus étaient loin d’être uniformes, de plus, en l’absence de vaisseaux sanguins, l’intérieur n’avait pas un apport régulier en nutriments et commençait à mourir, et enfin l’épaisseur du tissu entravait l’imagerie optique et le suivi au microscope.
Karzbrun a donc élaboré une nouvelle approche pour la culture des organoïdes qui devait permettre au groupe de suivre en temps réel les processus de croissance : il limita leur développement dans l’axe vertical. Cela donna un organoïde en forme de « pita », rond et plat avec un mince espace au milieu. Cette forme a permis au groupe d’obtenir des images de ce tissu mince tout au long de son développement ainsi que d’apporter des nutriments à toutes les cellules. Et à la deuxième semaine de croissance et de développement de ces mini-« cerveaux » des plissements ont commencé à apparaître puis à s’approfondir. Karzbrun : « C’est la première fois que des plissements ont été observés dans des organoïdes, apparemment en raison de l’architecture de notre système. »
Pour comprendre l’apparition des plissements, Karzbrun, physicien de formation, s’est tout naturellement tourné vers les modèles physiques du comportement des matériaux élastiques. Les plissements ou les froissements dans une surface sont le résultat d’une instabilité mécanique – de forces de compression appliquées à certaines parties du matériau. Ainsi, par exemple, s’il y a une expansion inégale dans une partie du matériau, une autre partie peut être contrainte de se plisser en réaction à la pression subie. Dans les organoïdes, les scientifiques ont trouvé une telle instabilité mécanique en deux endroits : le cytosquelette, ou squelette interne, des cellules dans le centre de l’organoïde se contractait, et les noyaux des cellules près de la surface s’élargissaient. Ou, pour le dire autrement, l’extérieur de la « pita » croissait plus vite que l’intérieur.
Bien que ce résultat fût impressionnant, Reiner n’était pas convaincue que les plis observés dans les organoïdes modélisait vraiment le plissement d’un cerveau en développement. Son groupe a donc cultivé de nouveaux organoïdes, portant cette fois les mutations caractérisant les bébés atteints du syndrome du cerveau lisse. Reiner avait identifié ce gène – LIS1 – en 1993 et étudié son rôle dans le cerveau en développement et dans cette maladie qui affecte une naissance sur 30 000. Ce gène est impliqué, entre autres, dans la migration des cellules nerveuses vers le cerveau au cours du développement embryonnaire, et il régule également le cytosquelette et les moteurs moléculaires dans la cellule.
Les organoïdes portant le gène muté ont grandi dans les mêmes proportions que les autres, mais ils n’ont développé que peu de plissements, de formes d’ailleurs très différentes de celles des plissements normaux. Partant du principe que ces variations étaient dues à des différences dans les propriétés physiques des cellules, le groupe a étudié les cellules de l’organoïde au moyen de la microscopie à force atomique, avec l’aide du Dr Sidney Cohen du Département de support à la recherche en chimie. Les mesures d’élasticité ont montré que les cellules normales étaient environ deux fois plus rigides que les cellules mutées qui étaient plutôt molles. Reiner : « Nous avons découvert une différence significative au niveau des propriétés physiques des cellules entre les deux organoïdes, mais nous avons également observé une différence dans leurs propriétés biologiques. Par exemple, les noyaux au centre des organoïdes mutants se déplaçaient plus lentement, et nous avons constaté des différences significatives dans l’expression des gènes. »
Avant la publication de l’article, la communauté scientifique avait déjà montré un grand intérêt pour cette nouvelle approche de culture des organoïdes. « Ce n’est pas vraiment un cerveau, mais c’est un très bon modèle pour l’étude de son développement », dit Reiner. « Nous comprenons maintenant beaucoup mieux ce qui fait qu’un cerveau est plissé ou, dans le cas de ceux avec un gène muté, qu’il est lisse. » Les chercheurs ont l’intention de continuer à développer leur approche qui, selon eux, pourrait permettre d’éclairer d’autres troubles liés au développement du cerveau, notamment la microcéphalie, l’épilepsie et la schizophrénie.
Le professeur Yaqub Hanna, qui a aidé à la culture des cellules souches embryonnaires, et l’étudiant Aditya Kshirsagar du groupe de Reiner ont également participé à cette recherche.
La recherche de la Pr. Orly Reiner bénéficie du soutien de l’Institut Helen et Martin Kimmel Institute pour la Recherche Cellulaire Embryonnaire, du Centre Nella et Leon Benoziyo pour les Maladies Neurologiques, de l’Institut de la Famille Kekst pour la Génétique Medicale, du Fond de recherche pour les Cellules Embryonnaires du Dr. Beth Rom-Rymer , de la Fondation Dears de M. et Mme Jack Lowenthal, de la succession de David Georges Eskinazi, et de la succession de Jacqueline Hodes. La Pr. Reiner est titulaire de la Chaire Bernstein-Mason de neurochimie.