12 Mar Le Recensement des Cellules Zombies
Les cellules « morts-vivantes » appelées cellules sénescentes pourraient faire plus de mal que de bien lors du vieillissement.
Les cellules sénescentes (rangée supérieure) et normales (rangée inférieure) de la paroi interne du poumon, marquées à l’aide de substances qui colorent des structures cellulaires caractéristiques de la sénescence (gauche) ou de la paroi (droite). Vue à l’aide de la technologie ImageStreamX.
Nos corps contiennent des cellules qui semblent être des zombies – elles ne se divisent plus comme elles le faisaient à leurs débuts mais refusent de mourir. Ces cellules « mort-vivantes » appelées cellules sénescentes interviennent dans la guérison de blessures et la prévention de cancers mais pourraient faire plus de mal que de bien. Elles ont tendance à s’accumuler anormalement dans des divers organes divers, contribuant à des problèmes tels que l’arthrose, une inflammation chronique des articulations, ou l’athérosclérose, un durcissement des artères. Des études récentes chez les souris suggèrent que débarrasser le corps de ces cellules sénescentes pourrait prévenir les maladies liées à l’âge et peut-être même augmenter l’espérance de vie.
« Mais si vous voulez tuer ces cellules sénescentes pour soulager ou prévenir des maladies, il est tout d’abord important de connaître leur nombre, » dit le Professeur Valery Krizhanovsky. Lui et son équipe du Département de Biologie Cellulaire Moléculaire de l’Institut Weizmann des Sciences ont développé une méthode pour compter les cellules sénescentes chez les souris.
La méthode, décrite dans la revue Aging Cell, pourrait aider à concevoir un protocole pour compter ces cellules chez les humains –pour déterminer par exemple à quel âge elles commencent à s’accumuler et pour évaluer le succès de thérapies visant à les éliminer du corps.
Nous avons trouvé beaucoup plus de cellules sénescentes chez les souris âgées que ce à quoi nous nous attendions
Le Professeur Krizhanovsky et ses collègues ont réussi à compter les cellules sénescentes dans des tissus de souris en combinant deux technologies. L’une d’elle consiste à colorer le tissu afin de mettre en évidence les caractéristiques moléculaires souhaitées – dans notre cas, les structures cellulaires caractéristiques des cellules sénescentes. L’autre, appelée cytométrie en flux – développée en collaboration avec le Docteur Ziv Porat de la Plateforme Technique du Département des Sciences de la Vie – rend possible le comptage des cellules en les repérant individuellement dans une solution et en créant des images haute-résolution de ces cellules. En utilisant ces approches combinées, les scientifiques ont découvert que dans les tissus de souris âgées de deux mois, la proportion de cellules sénescentes est de moins de 1%. En revanche, dans les corps de souris de deux ans, ce pourcentage monte en flèche et atteint presque 15% dans certains organes. « Nous avons trouvé beaucoup plus de cellules sénescentes chez les souris âgées que ce à quoi nous nous attendions, » dit le Professeur Krizhanovsky.
Les cellules courent à leur perte
(de gauche à droite) Le Docteur Yossi Ovadya, Lior Roitman, le Docteur Hilah Gal et le Professeur Valery Krizhanovsky ont démontré qu’évacuer les « cellules zombies » du corps pourrait ralentir le vieillissement
Cependant, une autre surprise est apparue dans une étude additionnelle publiée récemment dans The EMBO Journal. Le Professeur Krizhanovsky et son équipe se sont concentrés sur l’un des mécanismes qui mènent les cellules à un état sénescent : un parcours moléculaire dans lequel un gène appelé p21 agit comme un « frein », empêchant les cellules de se diviser après que leur ADN ait été endommagé. Ce gène est activé, entre autres, par le gène suppresseur de tumeur p53, si bien que l’on pensait initialement que p21 agissait aussi comme un suppresseur de tumeur. Si c’était le cas, on aurait trouvé des copies mutées de p21 dans des tumeurs cancéreuses, mais alors qu’en réalité, des études génomiques n’ont que rarement révélé de telles mutations.
Le Professeur Krizhanovsky et ses collègues voulaient comprendre comment le gène p21 garde les cellules à l’état de sénescence. Quand ils ont bloqué l’activité de p21 par une manipulation génétique – appelée « knockdown » – ils s’attendaient à ce que les cellules sénescentes recommencent à se diviser, au moins pour quelques cycles. Ce fût précisément là la surprise : plutôt que de se diviser, les cellules sénescentes ont commencé à mourir.
Apparemment, sans une activité suffisante de p21, ces cellules sont entrées dans une surmultiplication : elles ont rapidement accumulé tellement d’ADN endommagé qu’elles sont mortes rapidement. « Quand nous avons relâché le frein appliqué par le gène p21, ces cellules ont couru trop vite, accélérant leur propre mort, » dit le Professeur Krizhanovsky.
Dans le futur, éteindre p21 pourrait permettre d’établir une stratégie prometteuse pour éliminer les cellules sénescentes
En utilisant la souris comme modèle, les scientifiques ont ensuite examiné la participation de p21 dans la fibrose hépatique, dans laquelle des cellules sénescentes s’accumulent en grand nombre dans le foie, contribuant à la formation de tissus cicatriciels. Ils ont constaté que chez les souris dépourvues du gène p21 (souris « knockout »), le nombre de cellules sénescentes dans le foie était moins élevé que chez les souris normales, et que leurs marqueurs diagnostiques associés à la fibrose s’amélioraient.
L’étude suggère que dans le futur, éteindre p21 pourrait être une stratégie prometteuse pour éliminer les cellules sénescentes afin de garder les tissus organiques sains et retarder les ravages du vieillissement.
L’équipe de recherche était composée du Docteur Hilah Gal, du Docteur Anat Biran, du Docteur Reut Yosef, du Docteur Noam Pilpel, du Docteur Yossi Ovadya, de Nurit Papismadov, de Lior Roitman, de Lior Zada, de Paula Abou Karam, de Stav Miller et d’Ezra Vadai qui font tous partie du Département de Biologie Cellulaire Moléculaire ; et du Docteur Shifra Ben-Dor de la Plateforme Technique du Département des Sciences de la Vie.
Les recherches du Professeur Valery Krizhanovsky sont financées par la Fondation Rising Tide ; Mr et Mme Bruce Kanter ; et le Conseil européen de la recherche.