Un Désert en fleurs au Cœur de l’Océan

La concentration de chlorophylle en surface vue par le capteur spatial MODIS-Aqua de la NASA en octobre 2007. L’image du haut montre la distribution globale de la chlorophylle en surface au cours de ce mois ; celle du bas détaille la zone sélectionnée. On note que la prolifération algale, représentée par des zones allongées à petite échelle, est encore visible sur l’image globale de la biosphère océanique.

Comment les algues prolifèrent dans des zones pauvres en nutriments ?
Ils produisent quasiment la moitié de l’oxygène que l’on respire en absorbant le dioxyde de carbone de l’atmosphère, et constituent un maillon de base de la chaîne alimentaire des océans. Il n’est donc pas étonnant que ces organismes unicellulaires appelés phytoplancton soient un sujet de recherche brûlant : leur santé est essentielle pour la santé de la planète. À contre-courant de la pensée générale, les chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences ont cherché des traces de zones géantes de prolifération du phytoplancton – assez grandes pour être vues de l’espace – non pas dans des eaux riches en nutriments, où on les trouve habituellement, mais dans ce qu’on appelle les « déserts océaniques ». Quel phénomène permet une telle prolifération dans des eaux où la nourriture est habituellement rare ? Les résultats de cette étude ont été publiés dans Nature Communications.

Le Professeur Ilan Koren du Département des Sciences de la Terre et des Planètes de l’Institut explique que les conditions qui permettent le développement des phytoplanctons sont la lumière solaire, la présence de nutriments et des courants océaniques favorables. On pensait alors que la présence de ces zones de prolifération dans des régions pauvres en nutriments étaient la conséquence de remontées sporadiques de nutriments des eaux profondes injectés dans la couche photique. Cette couche, située juste en-dessous de la surface et jusqu’à environ 100 mètres de profondeur, est la zone dans laquelle la lumière du soleil pénètre, permettant ainsi la vie des organismes photosynthétiques comme le phytoplancton.

Courants verticaux et horizontaux

Les courants verticaux qui remontent l’eau et les nutriments des profondeurs ont été beaucoup étudiés, mais le Professeur Koren et le Docteur Yoav Lehahn, qui collabore au sein de son équipe, se sont plutôt concentrés sur des courants horizontaux qui existent entre 20 et 30 mètres de profondeur. Cette « couche optimale » représente moins d’un pour cent de la profondeur des océans mais les courants qui y circulent affectent le système de distribution de nourriture en diffusant les nutriments qui l’atteignent. Il y a donc d’une part une source riche mais sporadique de nourriture concentrée remontant des profondeurs, et d’autre part une dilution causée par des courants horizontaux sous la surface « désertique ». Le Professeur Koren explique la situation du phytoplancton dans ces régions : « Le phytoplancton doit utiliser les nutriments quand ceux-ci sont disponibles. La nourriture est concentrée quand elle arrive dans la couche optimale, mais nous pensons que c’est l’équilibre subtil entre le mélange et la dilution causée par le courant qui transporte ces nutriments horizontalement dans l’eau qui permet la prolifération observée, persistant à la surface pendant plusieurs mois ». Pour comprendre le processus, le Docteur Lehahn a développé une méthode transformant l’information « fixe » des images satellites et des données en « animation ». Pour ceci il a établi, avec son groupe de recherche, un modèle théorique qui peut intégrer à la fois les courants océaniques et l’écosystème des phytoplanctons, les images satellites et la dynamique de l’eau. « Ce système peut suivre dans le temps et l’espace les évènements qui ont lieu dans une zone d’eau délimitée », affirme le Docteur Lehahn.

Un étudiant chercheur du Département des Sciences de la Terre et des Planètes, Shlomit Sharoni, le Professeur Assaf Vardi du Département des Sciences des Plantes et de l’Environnement, le Docteur Francesco d’Ovidio de l’Université Paris VI et le Docteur Emmanuel Boss de l’Université du Maine ont également participé à cette étude.

« Nous avons cherché les “floraisons dans le désert” – dans la partie des océans où la vie est la moins abondante »

Les découvertes de cette étude suggèrent que la délicate combinaison entre mélange et dilution qui a lieu via ce courant horizontal fournit l’équilibre optimal qui d’une part permet la croissance du phytoplancton grâce à cette présence simultanée de nutriments et de la lumière du soleil, et d’autre part le protège du zooplancton qui s’en nourrit. L’étude de ces équilibres nous permet d’avancer dans notre compréhension de la prolifération du phytoplancton dans d’autres zones de l’océan, et plus généralement de tout l’écosystème marin. « Nous avons cherché les « floraisons dans le désert » – dans les parties des océans où la vie est la moins abondante, » dit le Professeur Koren. « Les idées que nous avons eues grâce à cette étude peuvent nous aider à comprendre ce qui se passe dans tout l’océan. »

Tout comme les pionniers israéliens cherchant à « faire fleurir le désert », les humains peuvent-ils utiliser cette connaissance pour créer la vie dans des zones « mortes » de l’océan ? Bien que cette question ne soit pas directement posée dans le cadre de cette étude, le Professeur Koren pense qu’elle peut apporter des informations aux projets des géo-ingénieurs qui proposent de faire croître du phytoplancton à grande échelle pour « reverdir » les déserts océaniques et faire baisser le taux de carbone dans l’atmosphère.

Transition de la concentration à la floraison : chaque séquence de cette animation est la composition de huit images successives provenant de trois satellites (MODIS-Aqua, MODIS-Terra et MERIS), montrant la chlorophylle à la surface des océans. Les flèches représentent les vecteurs de vitesse en surface. Les barres colorées montrent la progression logarithmique des concentrations de la chlorophylle en surface.

Les recherches du Professeur Ilan Koren sont financées par la Fondation Bernard and Norton Wolf Family et par Scott Jordan et Gina Valdez (La Habra Heights, Californie).



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