En brulant les ponts du cancer

Un nouveau traitement à base d’anticorps pour le type de cancer du sein le plus agressif pourrait également être utilisé pour traiter de nombreux autres cancers.

« Construisez à votre ennemi un pont d’or sur lequel il pourra se retirer », tel est le conseil donné par Sun Tzu dans son ancien traité militaire, L’art de la guerre. Il s’avère que les tumeurs cancéreuses adoptent cette stratégie dans leur lutte contre le système immunitaire. Dans une nouvelle étude publiée dans Cell Reports, des chercheurs du laboratoire du professeur Idit Shachar de l’Institut Weizmann des Sciences ont découvert qu’un certain type de cancer du sein agressif incite les cellules immunitaires voisines à construire des « ponts moléculaires » entre elles, ce qui pousse ces cellules à s’abstenir d’attaquer le cancer et entraîne une suppression immunitaire. Un traitement par anticorps qui bloque la construction de ces ponts a permis de restaurer la capacité du système immunitaire à attaquer avec force, inhibant ainsi la progression du cancer dans un modèle de souris.

(g-d) Gil Belisha, Bar Lampert, Bianca Pellegrino, Stav Rabani, Prof. Idit Shachar, Dr. Keren David, Dr. Laura Bellassen and Dr. Shirly Becker-Herman
(g-d) Gil Belisha, Bar Lampert, Bianca Pellegrino, Stav Rabani, Prof. Idit Shachar, Dr. Keren David, Dr. Laura Bellassen and Dr. Shirly Becker-Herman

Dans le passé, le traitement du cancer se concentrait sur la destruction des cellules malignes, par exemple au moyen de la radiothérapie ou de la chimiothérapie. Toutefois, au cours des dernières décennies, il est devenu évident que le développement d’une tumeur dépend de la communication entre le cancer et les cellules non cancéreuses avoisinantes. Dans une étude antérieure, les chercheurs du laboratoire du Prof. Shachar, dans le Département d’Immunologie Systémique de Weizmann, ont montré que les cellules cancéreuses du sang créent des « ponts moléculaires » avec les cellules de soutien voisines afin de survivre et de proliférer, faute de quoi elles meurent en quelques jours. Les chercheurs ont identifié une protéine, CD84 (SLAMF5), qui est utilisée pour construire ces ponts : lorsque cette protéine est présente à la surface d’une cellule immunitaire spécifique, elle peut se lier à une protéine similaire sur une autre cellule, créant ainsi un pont intercellulaire. Dans le type de cancer du sang étudié, le CD84 est exprimé en grande quantité sur les cellules cancéreuses elles-mêmes, créant ainsi des ponts physiques entre ces cellules et les cellules adjacentes. Les chercheurs ont même développé un anticorps qui bloque ces ponts, ralentissant ainsi la maladie. Suite à ces découvertes, les scientifiques ont commencé à collaborer avec le centre de traitement et de recherche sur le cancer City of Hope en Californie.

« Nous avons ensuite voulu voir si les ponts moléculaires entre les cellules du microenvironnement de la tumeur étaient également importants dans d’autres types de cancer que les tumeurs sanguines », explique le Prof. Shachar. « Le Dr Steven Rosen, vice-président exécutif de City of Hope, a proposé que nous examinions des échantillons de patientes atteintes du type de tumeur du sein le plus agressif, le cancer du sein triple négatif. L’une des raisons pour lesquelles il n’existe toujours pas de traitement pour ces tumeurs est que leurs cellules ne présentent aucun signe extérieur qui nous permettrait de les identifier et de les détruire. C’est pourquoi il est particulièrement important de trouver un traitement qui puisse supprimer le cancer en affectant un composant de son microenvironnement de soutien, plutôt que les cellules cancéreuses elles-mêmes ».

Dans cette nouvelle étude, menée par Stav Rabani, doctorant dans le laboratoire du Prof.  Shachar, les chercheurs ont analysé les séquences génétiques de tumeurs prélevées sur des femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif et ont découvert que le niveau d’expression du CD84 dans le microenvironnement tumoral était beaucoup plus élevé que la normale. L’une des conclusions surprenantes de l’étude est que même si les cellules cancéreuses du sein elles-mêmes expriment de très faibles niveaux de CD84, elles amènent les cellules immunitaires voisines à l’exprimer en grandes quantités et à créer des ponts entre elles, supprimant ainsi la réponse immunitaire. Les chercheurs ont également constaté que les patientes dont les tumeurs présentaient des niveaux élevés de CD84 ne survivaient pas aussi longtemps que les autres.

Coupe transversale d'un tissu mammaire sain (à gauche) et d'un tissu provenant d'une patiente atteinte d'un cancer du sein triple négatif (à droite).
Coupe transversale d’un tissu mammaire sain (à gauche) et d’un tissu provenant d’une patiente atteinte d’un cancer du sein triple négatif (à droite). Chez les patientes atteintes d’un cancer, les cellules cancéreuses (bleu clair) entourent les cellules du microenvironnement qui produisent un niveau élevé de CD84 (violet)

Ensuite, les chercheurs ont étudié la progression du cancer du sein chez des souris génétiquement modifiées pour ne pas exprimer la protéine CD84 et ont constaté que ces souris développaient des tumeurs beaucoup plus petites. Cette découverte a incité les scientifiques à tester l’anticorps qu’ils avaient développé précédemment – et qui avait réussi à empêcher la construction de ponts moléculaires – comme traitement du cancer du sein. Des injections administrées deux fois par semaine à des souris qui avaient commencé à développer un cancer du sein ont considérablement ralenti la croissance de la tumeur et, dans certains cas, ont même conduit à une guérison complète.

Les chercheurs ont découvert que le CD84 favorise le développement du cancer en provoquant une accumulation de cellules qui suppriment la réponse immunitaire. Ils ont décidé de se concentrer sur l’une des cellules dont le rôle dans le cancer n’est pas clair : la cellule B régulatrice. Ils ont découvert que, comme d’autres cellules immunitaires, les cellules B construisent davantage de « ponts moléculaires » dans un environnement de tumeur mammaire que dans un tissu sain. La construction de ces ponts amène ces cellules à produire une petite protéine connue comme un suppresseur clé de la réponse immunitaire. Lorsque cette protéine est exprimée dans le microenvironnement tumoral, elle est captée par les lymphocytes T du système immunitaire – les cellules guerrières qui sont censées détruire les cellules cancéreuses – supprimant leur activité et les empêchant d’attaquer la tumeur.

« L’anticorps que nous avons développé ne fonctionne que sur les cellules qui expriment un niveau élevé de CD84. Chez une personne en bonne santé, la plupart des cellules n’expriment pas du tout cette protéine, et les cellules immunitaires l’expriment à de faibles niveaux », explique le Prof. Shachar. « Nos nouvelles découvertes ouvrent la voie à l’essai de l’anticorps sur de nombreux types de tumeurs, y compris celles dont les cellules cancéreuses n’expriment pas cette protéine à un niveau élevé. À l’ère de la médecine personnalisée, nous présentons un traitement qui pourrait aider un large éventail de patients, puisqu’il se concentre sur le microenvironnement tumoral et non sur les cellules cancéreuses elles-mêmes. »

 

La Science en Chiffres

Le cancer du sein triple négatif est le type de cancer du sein le plus agressif, représentant jusqu’à 20 % de tous les nouveaux cas diagnostiqués. Une proportion importante de ces cancers survient chez des patientes présentant des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, particulièrement fréquentes chez les juifs ashkénazes.



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