12 Sep L’ère de l’illumination des écrans
Une étude collaborative d’une propriété clé de la lumière pourrait permettre de doubler la luminescence des écrans.
Les écrans numériques composés de matériaux organiques ont ouvert une nouvelle ère dans l’électronique grand public, en contribuant à la production en masse d’écrans plus lumineux qui présentent de nombreux avantages par rapport aux écrans composés de matériaux cristallins ordinaires. Ces diodes électroluminescentes organiques, ou OLED, peuvent, par exemple, permettre la fabrication de téléphones pliables qui doublent la taille de leur écran lorsqu’ils sont ouverts.
Pourtant, même les écrans OLED les plus avancés actuellement en production gaspillent environ la moitié de la lumière qu’ils émettent – un manque qui semblait inévitable parce qu’il découle de la physique de la lumière. Une nouvelle étude, dirigée par un chercheur de l’Institut Weizmann des Sciences, le professeur Binghai Yan du Département de Physique de la Matière Condensée, pourrait conduire à un changement dans la manière dont les futurs appareils éclaireront leurs écrans OLED.
Dans cette étude collaborative, le Prof. Yan et ses collègues ont découvert une nouvelle méthode pour contrôler une propriété clé de la lumière. Cette technique, qui implique de nouvelles conceptions de matériaux et de dispositifs, ouvre la voie à la fabrication d’écrans deux fois plus lumineux – ou deux fois plus économes en énergie – que ceux qui sont actuellement sur le marché. Elle pourrait également déboucher sur des capacités de transmission de données beaucoup plus rapides que celles qui existent aujourd’hui, des applications qui illustrent l’énorme potentiel des semi-conducteurs organiques de la prochaine génération.
Prof. Binghai Yan. Exploiter tout le potentiel des écrans iridescents
Pour comprendre pourquoi les écrans de pointe ont une limite de luminosité, nous devons d’abord examiner la propriété de la lumière connue sous le nom de chiralité, un terme dérivé du mot grec signifiant « main ». Sa signification dépend du contexte. En physique, la chiralité fait référence à l’auto-rotation des particules par rapport à leur mouvement. Lorsque des photons ou des électrons circulent, ils se déplacent dans l’espace, mais ils tournent également sur eux-mêmes autour d’un axe orienté (l’axe de spin) dont le sens est défini comme allant vers le côté de l’axe d’où un observateur verrait la particule tourner dans le sens des aiguilles d’une montre. Lorsque l’axe de spin des particules est orienté dans le même sens que celui dans lequel elles se déplacent, comme le fait un obus, on parle de chiralité droite ; lorsqu’elles tournent dans le sens contraire, on parle de chiralité gauche.
En biologie et en chimie, la chiralité fait référence à des objets qui sont des images miroir l’un de l’autre, comme une mains droite et une main gauche. Par exemple, l’ADN, les protéines et la plupart des autres molécules organiques naturelles sont dites droitières. Il existe une interaction considérable entre les différents types de chiralité. Par exemple, la chiralité géométrique des molécules d’une matière organique détermine la chiralité des particules qui les traversent.
Cela concerne de nombreuses applications d’affichage, car ces écrans sont dotés d’une couche externe transparente constituée d’un matériau chiral, qui ne laisse passer que la lumière d’une seule chiralité – par exemple, le côté droit – et bloque l’entrée des photons de l’autre chiralité. Cela permet de neutraliser la lumière ambiante entrante, dont la chiralité est mélangée ; si on la laissait passer, cette lumière diminuerait le contraste de l’écran, ce qui le rendrait difficile à regarder à la lumière du jour.
En physique, la chiralité fait référence à l’auto-rotation des particules par rapport à leur mouvement. Lorsque des photons ou des électrons circulent, ils se déplacent dans l’espace, mais ils tournent également sur eux-mêmes. Lorsque l’axe autour duquel ces particules tournent est orienté dans le dans le même sens que celui dans lequel elles se déplacent, comme le fait un obus, on parle de chiralité droite ; lorsque l’axe est orienté dans le sens inverse, on parle de chiralité gauche
La couche transparente pour une seule chiralité est essentielle pour faire fonctionner les écrans en pleine lumière (essayez d’utiliser votre smartphone pour naviguer en plein midi sans elle), mais c’est un gaspillage. Lorsque les diodes des écrans modernes émettent de la lumière – qui a généralement une chiralité mixte – vers la surface de l’écran, la moitié des photons de cette lumière ne peuvent pas atteindre l’observateur, car leur chiralité ne correspond pas à celle de la couche externe transparente, qui est fixée pour neutraliser la lumière ambiante.
Mais cette situation est peut-être sur le point de changer.
Dans cette nouvelle étude, le Prof. Yan et son équipe proposent de contrôler la chiralité des photons d’une manière jugée jusqu’à présent impossible. Cette proposition implique des diodes qui émettent principalement de la lumière d’une seule chiralité, celle qui correspond à la chiralité de la couche externe transparente. Pour ce faire, il faut créer des diodes qui émettent simultanément de la lumière dans des directions opposées – l’une vers l’avant, l’autre vers l’arrière – et qui sont équipées d’un panneau arrière recouvert d’un polymère contenant un matériau organique chiral. La moitié de la lumière de la diode, celle dont la chiralité correspond à la couche transparente, traverse cette couche sans encombre. L’autre moitié n’est pas perdue. Au contraire, elle rebondit jusqu’à ce qu’elle frappe le panneau arrière en polymère de la diode, qui inverse sa chiralité. Ce polymère est conçu de telle manière que l’information de chiralité qu’il contient est efficacement convertie en rotation des électrons, puis en chiralité de la lumière, ce qui conduit à une émission de lumière fortement polarisée (c’est à dire pratiquement d’une seule chiralité).
Des résultats étranges, une conséquence inévitable de la théorie
L’étude a commencé par des résultats expérimentaux qui, au départ, semblaient tout à fait bizarres.
Le Dr Li Wan, alors chercheur postdoctoral à l’université de Linköping en Suède, a découvert ce que nous savons aujourd’hui être une méthode permettant de contrôler et d’amplifier la chiralité de la lumière dans les dispositifs organiques.
« Ces découvertes allaient tellement à l’encontre de tout ce qui était connu dans ce domaine que d’autres scientifiques ont eu du mal à croire les résultats du Dr. Wan. Ils ont dit que quelque chose n’allait probablement pas dans ses expériences », se souvient le Prof. Yan.
Le Dr. Wan et son directeur de thèse, le professeur Alasdair Campbell, avaient montré qu’ils pouvaient inverser la chiralité d’un flux d’électrons dans leur installation expérimentale en changeant la polarité de la batterie générant le courant électrique. Chaque fois qu’ils ont inversé la polarité de l’alimentation électrique, la chiralité du flux d’électrons a changé de manière cohérente. Comme ils n’avaient pas modifié les matériaux, cette découverte allait à l’encontre de toutes les connaissances acquises à l’époque dans les manuels.
Le Prof. Campbell était convaincu qu’ils étaient sur une piste importante, mais il est décédé en 2021, avant que le Dr. Wan n’ait pu étayer ses découvertes sur le plan théorique. Après la mort du Prof. Campbell, le Dr. Wan a recherché le Prof. Yan, dont il avait entendu la conférence en ligne sur la chiralité. Dans cette conférence, le Prof. Yan a exposé sa théorie qui, à l’aide de concepts de la physique quantique, explique comment la chiralité d’un matériau détermine la chiralité d’un flux d’électrons.
Le Prof. Yan a commencé à analyser les expériences du Dr. Wan avec ce dernier et deux autres scientifiques, le Dr Yizhou Liu du Département de Physique de la Matière Condensée de Weizmann et le professeur Matthew J. Fuchter de l’Imperial College de Londres. Le Prof. Yan a dû étendre sa théorie de la chiralité pour qu’elle puisse expliquer les résultats du Dr. Wan, mais il a fini par montrer que ces résultats étaient en fait une conséquence inévitable de sa propre théorie. En outre, les scientifiques ont découvert qu’ils pouvaient également contrôler la chiralité de la lumière émise par le flux d’électrons en s’assurant que les photons s’envolent le long de la même trajectoire que le flux, préservant ainsi leur sens de rotation.
« Nous avons mis en évidence une unité intrigante entre des aspects apparemment sans rapport de la chiralité : la géométrie structurelle d’un matériau, l’orientation d’un flux d’électrons et, enfin, l’orientation de la lumière », résume le Prof. Yan à propos de cette nouvelle étude.
Dr. Yizhou Liu
Outre l’amélioration de l’efficacité de nos écrans, les résultats de l’étude pourraient également être appliqués à la transmission rapide de données. Elles pourraient, par exemple, être utilisées pour créer des commutateurs optiques qui fonctionneraient beaucoup plus rapidement que les commutateurs mécaniques, en inversant la chiralité du flux de photons – par exemple, droitier pour indiquer 0, et gaucher pour indiquer 1 – en changeant la polarité électrique.
Enfin, un autre résultat de cette recherche est que les manuels scolaires devront être mis à jour pour tenir compte de la théorie de la chiralité du Prof. Yan.
Faire ces découvertes à l’Institut Weizmann a une résonance personnelle pour le Prof. Yan, qui est né en Chine et s’est installé en Israël avec sa femme et ses deux enfants en 2017 après avoir mené des recherches postdoctorales en Allemagne et aux États-Unis. Ce n’est qu’après son arrivée à Weizmann que le Prof. Yan a réalisé qu’il avait atterri dans le même institut de recherche que le professeur Ron Naaman, du Département de Physique Chimique et Biologique de Weizmann, dont l’article fondateur de 2011 sur la chiralité de l’ADN et le flux d’électrons avait incité le Prof. Yan à se concentrer sur l’interaction entre les différentes formes de chiralité en premier lieu. « C’est une boucle qui se referme pour moi », déclare le Prof. Yan, « et cela présente l’avantage supplémentaire de me permettre de passer discuter de la chiralité avec Ron Naaman autour d’un café le matin ».
La Science en Chiffres
Certains nouveaux écrans OLED affichent une luminescence de 1 000 nits, des unités utilisées pour mesurer la luminosité dans lesquelles une seule unité équivaut à la puissance d’une bougie par mètre carré. Une salle de cinéma typique a une luminosité de 50 à 100 nits, et la plupart des téléviseurs âgés de 10 ans ont une luminosité inférieure à 500 nits