26 Juin Ouvrir la voie du futur aux femmes scientifiques
Entretien avec le professeur Idit Shachar, directrice du bureau pour la promotion des femmes dans les sciences et pour l’égalité des sexes à l’Institut Weizmann des Sciences, pour une meilleure représentation des femmes scientifiques dans le monde académique.
Durant la pandémie de COVID-19, quand les femmes scientifiques expérimentées et les étudiantes en recherche rencontraient de nombreuses difficultés autant dans leurs travaux scientifiques qu’à la maison, cinq professeurs de l’Institut Weizmann des Sciences – Idit Shachar, Michal Irani, Maya Shuldiner, Karina Yaniv et Michal Sharon – ont créé le forum GET, Gender Equality Together (en français : ensemble pour l’égalité des genres). Elles ont par la suite invité des scientifiques de tous sexes à participer à de nombreuses initiatives et activités au sein de l’Institut afin de promouvoir les femmes scientifiques. « Ensemble avec 50 autres scientifiques, nous avons mis en place plusieurs groupes de travail dans le but d’attaquer le problème selon des angles différents. Nous avons collecté de nombreuses données pour comprendre où se manifeste l’inégalité et quelles en sont les causes. Les données et nos conclusions ont été présentées au président de l’Institut, aux membres de la direction et au conseil scientifique, » dit le professeur Shachar, qui a été nommée directrice du bureau pour la promotion des femmes dans les sciences et pour l’égalité des sexes au début de l’année 2021, au moment du pic de la troisième vague de la pandémie.
Le professeur Shachar est une chercheuse reconnue dans son domaine, l’immunologie ; elle a alors apporté son expérience professionnelle remarquable mais également son expérience personnelle. Femme scientifique de renom, elle a une connaissance particulière des difficultés que rencontrent souvent les femmes au long de leur parcours académique – et des méthodes uniques et créatives pour y faire face. « Écoutons-nous et aidons-nous les unes les autres, et ensemble, créons un environnement qui facilitera le changement que nous souhaitons voir aboutir ; osons faire de nos rêves une réalité, en tant que scientifiques et en tant que femmes, parce que nous pouvons le faire, » dit-elle.
Professeur Idit Shachar. Photo : Yael Ilan
« Les chiffres parlent d’eux-mêmes : environ 20% des chercheurs expérimentés de l’Institut sont des femmes tandis que 80% sont des hommes. D’autre part, 50% des étudiants diplômés sont des femmes. Ce phénomène est généralement connu sous le nom « d’effet ciseau » : après avoir obtenu leur doctorat, de nombreuses femmes, en comparaison avec leurs homologues masculins, ne continuent pas jusqu’à la prochaine étape importante de leur carrière académique, le postdoctorat, qui se fait généralement à l’étranger. Il est vrai que l’Institut Weizmann des Sciences a mis en place un programme de bourses pour les étudiantes effectuant un postdoctorat à l’étranger, et ce programme a jusqu’ici été immensément bénéfique. Mais le nombre de participantes met trop de temps à grimper et les raisons sous-jacentes sont variées : de nombreuses étudiantes trouvent difficile de déménager pour des raisons familiales ou parce que leurs partenaires ne peuvent pas quitter leur lieu de travail. …
… De plus, nombre d’entre-elles ont des appréhensions concernant les difficultés qu’elles pourraient rencontrer, la compétition et l’implication requise pour une carrière académique et préfèrent rejoindre les rangs des professionnels de l’industrie ici, en Israël, plutôt que de compléter leurs études de doctorat, et ainsi maintenir un équilibre travail/vie-privée plus durable. Il est important de remarquer qu’il n’y a absolument aucune corrélation entre leurs capacités scientifiques et leurs réalisations et cette décision précise. L’un de nos buts est de soutenir ces femmes à chacune de ces étapes, quand elles réfléchissent à leur avenir professionnel, et les aider à ne pas laisser tomber leurs rêves académiques si elles en ont un. Ce n’est vraiment pas une chose facile, mais ce n’est pas non plus impossible. »
« Nous avons aussi constaté que de nombreuses femmes effectuant un postdoctorat à l’étranger hésitent à postuler au sein de l’Institut qui est connu pour être un environnement compétitif avec des exigences strictes sur les capacités de ses chercheurs. Un certain nombre de celles qui finissent par postuler ne sont pas rappelées pour un entretien. Ainsi, de nombreuses études sur le sujet indiquent que si un homme ou une femme soumettent le même CV, l’homme sera plus souvent reçu que la femme. Je ne pense pas que ce soit une forme de discrimination particulière faite consciemment ou avec de mauvaises intentions mais plutôt un biais inconscient. Pendant les comités d’admission par exemple, quand le nom d’une femme est évoqué, il est souvent question des difficultés qu’elle rencontrera pendant sa carrière scientifique à cause de son statut de mère. Il y a aussi des données qui démontrent que les demandes de bourse soumises par des femmes sont étudiées différemment que celles soumises par des hommes. Et c’est la même chose en termes de récompenses : nous avons découvert que la plupart des bénéficiaires de celles-ci sont des hommes. Les étudiantes sont moins mises en avant pour ces distinctions, même si leur travail académique est tout aussi bon. Il faut tout de même mentionner que récemment, la Feinberg Graduate School de l’Institut a démarré une campagne pour encourager les chercheurs expérimentés à recommander autant de femmes que d’hommes pour les récompenses.
Professeur Shachar. Photo : Yael Ilan
« Un autre obstacle important dont il faut parler, et que tous les chercheurs expérimentés ont subi à l’Institut, est la question du comité de promotion. L’un des critères les plus importants pour atteindre la pré-titularisation est la reconnaissance internationale – combien de fois vous êtes invité à des conférences internationales et combien de collègues font partie de votre communauté internationale de chercheurs. En réalité, nous (les femmes) arrivons généralement juste après le début d’une conférence et repartons juste avant sa fin officielle. Nous n’avons pas le temps de prendre une bière avec des collègues et de discuter du dernier match de foot avec eux. …
… Développer son réseau ne se fait pas forcément aux mêmes endroits que nos collègues masculins et nous ne réussissons pas à satisfaire à ce critère particulier. Une solution à ce problème a été d’obliger les organisateurs de conférences académiques à inclure 50% de représentation féminine lors de leurs évènements. De mon point de vue, c’est forcer les choses, cela ne marche pas toujours et est bien loin de faire une réelle différence. Je considère que ce critère d’évaluation devrait être secondaire, malgré son prestige et son importance supposés. Il est souvent teinté de politique et est un jeu de pouvoir et d’intérêts ; cependant, je comprends qu’il fasse partie du jeu. Aujourd’hui, avec Zoom, cette difficulté va peut-être se réduire et nous aurons peut-être moins à voyager pour gagner en reconnaissance internationale. Cela peut sembler amusant à première vue, mais du point de vue d’une maman, c’est tout de suite compliqué. »
« De plus, nous voudrions que dans chaque comité de l’Institut, il y ait un membre dont le rôle soit de s’assurer qu’il n’y ait aucun biais d’aucune sorte, de sexe, de religion ou de race ; quelqu’un qui s’assurerait que seules des considérations objectives comme l’impact scientifique ou l’excellence, soient prises en compte. Bien que nous ayons toutes rencontré ces difficultés et ces frustrations et que nous en soyons venus à bout, il est important pour nous d’aider la jeune génération de femmes scientifiques et d’entretenir un environnement qui les encourage et les accepte davantage. »
Il se trouve que l’équipe du professeur Idit Shachar est composée uniquement de femmes. Elle mentionne avec humour qu’il y avait un homme par le passé. « Les étudiants homme ne me contactent pas, » dit-elle. « L’atmosphère en laboratoire est géniale, nous avons beaucoup de considération les unes pour les autres, nous sommes là pour nous entraider quand on le peut. Par exemple, quand quelqu’un effectue une expérience importante, nous sommes toutes sur le pont afin qu’elle n’ait pas à passer la nuit au labo ou qu’elle ne soit pas trop sous pression. Pour moi, c’est presque aussi important que la recherche en elle-même. » …
… Le professeur Shachar a effectué ses études en biochimie à l’université de Tel Aviv et son postdoctorat à l’université de Yale aux États-Unis. À la suite de celui-ci, elle a rejoint l’Institut en tant que chercheur principal. « Je travaille à l’Institut Weizmann depuis près de 25 ans et je n’avais jamais envisagé qu’il pouvait y avoir des problèmes avec l’évolution des femmes dans les domaines scientifiques… jusqu’à ce que j’atteigne le plus haut rang, professeur titulaire. J’ai alors rencontré de nombreuses difficultés dans les comités, des difficultés que mes collègues femmes avaient également rencontrées. C’est depuis ce moment que j’essaye de changer le système de l’intérieur, pour l’améliorer. Ce sont des processus qui prennent du temps mais plus il y a de femmes scientifiques à l’Institut, plus ce sera facile pour les générations futures de femmes talentueuses d’entreprendre une carrière académique remarquable. »