La Foret solaire

La Forêt solaire

Une nouvelle étude de l’Institut Weizmann montre que la construction de fermes solaires dans les régions arides est un moyen bien plus efficace de lutter contre la crise climatique que la plantation de forêts.

Une forêt verdoyante est l’un des symboles les plus emblématiques du pouvoir de la nature, qu’il s’agisse de l’abondance de la vie végétale et animale qui s’abrite dans son épaisse végétation ou de l’impact positif qu’elle a sur le climat de la Terre, notamment grâce à la photosynthèse, qui élimine le dioxyde de carbone de l’air, atténuant ainsi l’une des causes du réchauffement planétaire. L’abattage des forêts tropicales à feuilles persistantes a joué un rôle important dans l’aggravation de la crise climatique, et de nombreuses initiatives environnementales se concentrent sur la réhabilitation des forêts détruites ou la plantation de nouveaux arbres. Le problème est que, même si nous couvrions toute la surface de la planète avec des arbres, la force photosynthétique massive qui en résulterait ne suffirait pas à absorber l’énorme surplus de dioxyde de carbone – le principal gaz à effet de serre – qui a été rejeté dans l’atmosphère au cours des 150 dernières années d’activité humaine.

Il existe une autre façon de faire face à la crise climatique, qui, contrairement aux forêts, n’est ni naturelle ni verte, du moins pas au sens littéral du terme. Cette solution artificielle consiste à ériger des champs de panneaux solaires de couleur sombre. Il est évident que la production d’électricité à partir de l’énergie solaire a un impact positif sur l’équilibre climatique, puisqu’elle remplace les centrales électriques qui utilisent des combustibles fossiles tels que le charbon et le gaz, réduisant ainsi les émissions nocives de gaz à effet de serre qui s’accumulent à des concentrations croissantes dans l’atmosphère.

À gauche : la forêt de Yatir, située dans la région nord du désert du Néguev, est la plus grande des forêts plantées en Israël par le Fonds National Juif. À droite : La ferme solaire dans l'Arava où les mesures ont été effectuées. Photos : Jonathan D. Muller
À gauche : la forêt de Yatir, située dans la région nord du désert du Néguev, est la plus grande des forêts plantées en Israël par le Fonds National Juif. À droite : La ferme solaire dans l’Arava où les mesures ont été effectuées. Photos : Jonathan D. Muller

Mais tant la forêt verte naturelle que la « forêt solaire » artificielle et sombre produisent d’autres effets, dont certains peuvent être problématiques du point de vue du climat. Elles sont toutes deux relativement sombres, ce qui signifie qu’elles absorbent une grande partie du rayonnement solaire (ce qui en fait des surfaces à « faible albédo » dans le jargon professionnel) et, par conséquent, elles se réchauffent. Une partie de cette énergie est utilisée pour la photosynthèse dans les forêts naturelles ou pour produire de l’électricité dans les « forêts » solaires, mais la plus grande partie retourne dans l’atmosphère sous forme de flux d’énergie et la réchauffe. En revanche, le sol clair du désert, par exemple, réfléchit une grande partie de la lumière du soleil vers l’espace sans la convertir en chaleur, ce qui n’augmente pas la température de l’atmosphère. (Un tel sol est connu comme une surface à « albédo élevé »).

Quelle serait alors l’utilisation la plus efficace d’une parcelle de terrain en termes de crise climatique : planter une forêt, qui est un moyen naturel d’absorber le dioxyde de carbone de l’atmosphère, ou ériger des champs de panneaux solaires, qui réduisent l’émission de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ? Ce dilemme est depuis longtemps débattu par les décideurs du monde entier.

Aujourd’hui, pour la première fois, grâce aux résultats obtenus dans les zones arides et aux mesures complètes du flux d’énergie échangé entre le sol et l’atmosphère, nous pourrions avoir une réponse à cette question, grâce à une nouvelle étude dirigée par les docteurs Rafael Stern, Jonathan Muller et Eyal Rotenberg du laboratoire du professeur Dan Yakir au Département des Sciences de la Terre et des Planètes de l’Institut Weizmann des Sciences. L’étude, publiée dans PNAS Nexus, est coécrite par Madi Amer, également du laboratoire du professeur Yakir, et par le docteur Lior Segev du Département des Installations de Base en Physique de l’Institut Weizmann.

(g. à d.) Prof Dan Yakir, Dr Eyal Rotenberg, Dr. Rafael Stern et Dr. Jonathan Muller
(g. à d.) Prof Dan Yakir, Dr Eyal Rotenberg, Dr. Rafael Stern et Dr. Jonathan Muller

Un Siècle de photosynthèse
La première étape de l’étude a consisté à comparer l’impact d’une forêt située en bordure d’une zone aride à celui d’un champ de panneaux solaires, ou d’une ferme solaire, dans un environnement aride. Les zones arides se caractérisent par un ensoleillement important et une relative pauvreté en diversité végétale et en biomasse, ce qui les rend particulièrement adaptées à l’implantation de grandes fermes solaires. De tels champs existent déjà en Israël, dans la région de l’Arava et du Néguev, et le gouvernement prévoit d’en construire d’autres en Jordanie dans le cadre d’une collaboration internationale. Ailleurs dans le monde, d’énormes projets solaires sont en cours, par exemple dans les déserts de Chine, et l’Union européenne discute depuis longtemps de projets de construction de fermes solaires dans le Sahara.

Les chercheurs de Weizmann se sont rendus dans l’Arava à bord d’un camion transportant une station de mesure mobile, spécialement conçue par le Prof. Yakir et le Dr. Rotenberg. Ils ont commencé par placer cette station de mesure à proximité du champ de panneaux solaires afin de mesurer le flux d’énergie entre le sol et l’atmosphère, tel qu’il se produit dans une zone aride dépourvue de panneaux solaires. Ils ont ensuite placé la station à l’intérieur même du champ de panneaux solaires, ce qui a nécessité de surmonter les problèmes opérationnels et de sécurité liés à la sensibilité des panneaux, qui avaient déjà perturbé de telles mesures par le passé. Sur les deux sites, les expériences ont été répétées à différentes saisons de l’année. Enfin, pour comparer leurs résultats au processus similaire qui se produit dans une forêt, les scientifiques se sont appuyés sur les données que le Prof. Yakir et le Dr. Rotenberg avaient recueillies au cours des 20 dernières années dans la forêt de Yatir – la plus grande des forêts plantées en Israël par le Fonds National Juif – à la lisière nord du désert aride du Néguev.

À gauche : station de mesure à l'intérieur du champ de panneaux solaires. Les chercheurs ont dû relever des défis opérationnels et de sécurité liés à la sensibilité des panneaux, qui avaient déjà perturbé de telles mesures par le passé. Photo : Eyal Rotenberg. A droite : Station de mesure dans la forêt de Yatir. Photo : Jonathan D. Muller
À gauche : station de mesure à l’intérieur du champ de panneaux solaires. Les chercheurs ont dû relever des défis opérationnels et de sécurité liés à la sensibilité des panneaux, qui avaient déjà perturbé de telles mesures par le passé. Photo : Eyal Rotenberg. A droite : Station de mesure dans la forêt de Yatir. Photo : Jonathan D. Muller

Les chercheurs ont découvert que l’effet d’albédo de ces deux « forêts » était similaire, mais que l’absorption ou la prévention des émissions de carbone était très différente, en faveur de la forêt solaire. Pour compléter la comparaison, ils ont calculé les points d’équilibre auxquels les effets opposés sur le climat de la Terre – réchauffement dû à la couleur foncée des deux forêts et refroidissement dû à la réduction du dioxyde de carbone dans l’atmosphère – s’équilibrent, réduisant finalement la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse de la forêt naturelle ou à la réduction des émissions liées à la production d’électricité de la forêt solaire. Il faut en effet deux ans et demi pour que la chaleur émise par les fermes solaires soit compensée par les émissions de carbone évitées grâce à l’énergie qu’elles produisent. Et ce, même en tenant compte des émissions de carbone liées à la fabrication, au transport et à l’exploitation des panneaux, ainsi qu’aux batteries utilisées pour le stockage de l’électricité. Dans le cas d’une forêt de taille similaire, il faudrait plus de 100 ans de photosynthèse pour compenser son effet de chauffage.

Les chercheurs ont également voulu déterminer comment le rapport chauffage/refroidissement évoluait dans d’autres climats. En utilisant des données provenant de mesures similaires recueillies par satellite et dans des bases de données, ils ont constaté que dans des environnements plus humides tels que les tropiques ou dans des régions de prairies tempérées comme l’Europe, l’effet de réchauffement dû à la plantation d’un grand nombre d’arbres est plus faible. Cela s’explique par le fait que le sol y est plus sombre au départ, ce qui signifie que l’effet lié à l’albédo est plus faible, et que le taux de capture du carbone par les arbres est plus élevé, de sorte que le seuil de rentabilité est atteint dans les 15 à 18 ans. Cela dit, il faut garder à l’esprit que ces régions disposent de moins d’espace libre pour planter de nouvelles forêts.

Les chercheurs de Weizmann ont quitté l'Institut Weizmann et se sont rendus dans l'Arava à bord d'un camion transportant une station de mesure mobile, spécialement conçue par le professeur Yakir et le docteur Rotenberg. Yakir et Rotenberg : Jonathan D. Muller
Les chercheurs de Weizmann ont quitté l’Institut Weizmann et se sont rendus dans l’Arava à bord d’un camion transportant une station de mesure mobile, spécialement conçue par le professeur Yakir et le docteur Rotenberg. Yakir et Rotenberg : Jonathan D. Muller

Les Dr. Stern et Muller expliquent : « Notre étude montre sans équivoque que dans les environnements arides, où se trouvent la plupart des réserves de terres ouvertes, la construction de fermes solaires est beaucoup plus efficace que la plantation de forêts pour faire face à la crise climatique. Dans cet environnement, l’installation de panneaux solaires sur des surfaces bien plus petites que les forêts (jusqu’à un centième de leur taille) permet de compenser exactement la même quantité d’émissions de carbone. Cela dit, les forêts absorbent actuellement près d’un tiers des émissions annuelles de carbone de l’humanité. Il est donc primordial de préserver cette capacité et d’empêcher la déforestation à grande échelle qui a lieu dans les régions tropicales. En outre, les forêts jouent un rôle essentiel dans le cycle pluviométrique mondial, dans le maintien de la biodiversité et dans de nombreux autres contextes environnementaux et sociaux. La conclusion de notre étude est donc que nous devons protéger les forêts de la Terre et que la solution la plus appropriée à la crise climatique est de combiner la plantation et la réhabilitation des forêts dans les régions humides avec l’érection de champs de panneaux solaires dans les régions arides ».

La Science en Chiffres
Dans les zones arides, l’installation d’une ferme solaire est 100 fois plus efficace pour réduire les émissions de dioxyde de carbone que la plantation d’une forêt de taille similaire.



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