07 Fév Démêler l’origine de la vie
Une nouvelle étude axée sur les interactions entre des matériaux chimiques de base pourrait permettre d’élucider les schémas complexes de l’évolution.
Nous avons tendance à considérer l’évolution comme un processus chaotique à partir duquel la vie a émergé spontanément. Mais que se passerait-il si des modèles pouvaient expliquer comment des matériaux simples ont évolué vers la vie organique ? Et s’il existait des modèles généralisés pour décrire comment les organismes préhistoriques ont interagi les uns avec les autres et sont devenus le monde biologique diversifié que nous connaissons aujourd’hui ? Alors que la plupart des recherches sur l’origine de la vie se concentrent sur les matériaux à partir desquels la vie organique est créée, le Dr Sergey Semenov, du Département de Chimie Moléculaire et de Science des Matériaux, un département récemment inauguré à l’Institut Weizmann des Sciences, pose une question tout à fait différente.
Au lieu de s’intéresser à la chimie fondamentale qui sous-tend les éléments constitutifs de la vie – des matériaux tels que les protéines – le Dr. Semenov se concentre sur les différents modèles d’interactions que créent les matériaux chimiques de base et qui peuvent contribuer à expliquer le processus d’évolution.
Dr. Sergey Semenov. Une histoire d’amour chimique qui a vu le jour dans la cuisine de ses parents…
« Lorsque vous observez la vie organique, ce que vous voyez en réalité, ce sont des molécules qui interagissent. En fait, la question de savoir quel type de réactions ou d’interactions certaines molécules peuvent former est la façon dont nous établissons des distinctions entre les différents matériaux, et dont nous différencions le vivant du non-vivant », explique-t-il.
Le Dr. Semenov a toujours été intéressé par la chimie. Il a réalisé ses premières expériences lorsqu’il était enfant en Russie, dans la cuisine de ses parents. « Je faisais en fait des expériences très poussées à la maison », dit-il en plaisantant et en se rappelant comment il a poussé un kit de chimie pour enfants jusqu’à ses limites, « jusqu’à ce que cela devienne trop dangereux ». Il est ensuite allé à l’université d’État de Moscou : « C’était le meilleur endroit pour étudier la chimie en Russie à l’époque », dit-il. Mais il s’est rapidement dirigé vers l’ouest, et après avoir étudié et travaillé aux Pays-Bas et en Suisse, il s’est lancé dans un post-doctorat à Harvard. C’est là qu’il a aidé son superviseur, le professeur George M. Whitesides, à fonder un laboratoire sur les origines chimiques de la vie, et qu’il a commencé à se concentrer exclusivement sur les interactions chimiques.
« Notre recherche pose la question suivante : quels sont les différents types de réactions que des matériaux chimiques simples peuvent entretenir ? Ce que nous cherchons, c’est la dynamique de la machinerie chimique qui crée la vie complexe ».
Les différents types d’interactions, a-t-il découvert, peuvent former des boucles de rétroaction chimique. Il s’agit de processus chimiques qui s’accélèrent ou se suppriment mutuellement selon un certain schéma. Ces schémas – ou « réseaux d’interactions », comme les appelle le Dr. Semenov – pourraient être la clé pour comprendre « comment des organismes extrêmement complexes se sont développés au fil du temps à partir de matériaux très simples », explique-t-il.
Dans cette nouvelle étude, le Dr. Semenov, ainsi que les membres de son groupe, le doctorant Alexander Novichkov et l’étudiant diplômé Anton Hanopolskyi, ont en fait recréé un tel processus à partir d’interactions de base entre des matériaux très simples. « Notre recherche pose la question suivante : quels sont les différents types de réactions que des matériaux chimiques simples peuvent entretenir ? Ce que nous recherchons, c’est la dynamique de la machinerie chimique qui crée la vie complexe. Et pour cela, il faut se concentrer non pas sur les molécules complexes mais plutôt sur les comportements complexes qui peuvent aider à former des molécules complexes. »
Le microréacteur utilisé par les chercheurs pour créer l’oscillateur chimique. Les réactifs sont placés dans le réacteur, mélangés entre eux et lavés. L’oscillation chimique se produit alors à l’intérieur et peut être mesurée en suivant les émissions.
L’oscillation entre des concentrations élevées et faibles, ont-ils constaté, est peut-être le plus élémentaire de ces comportements. Cette force que l’on retrouve dans de nombreux processus biologiques, ce type de mécanisme de rétroaction action-réaction, semblable au mécanisme des horloges mécaniques simples, est ce qui permet à nos horloges cellulaires de fonctionner selon un rythme circadien.
L’étude du Dr. Semenov a produit le deuxième exemple humain d’un oscillateur chimique fonctionnel construit entièrement à partir de molécules organiques synthétiques. Le système s’autopropage et maintient une oscillation constante, un peu comme une horloge. Ensemble, ces deux fonctions créent ce qu’il appelle « un interrupteur » qui permet à certaines fonctions de se développer au fil du temps.
L’oscillateur du Dr. Semenov « bascule » entre deux états, créant une boucle de rétroaction dans laquelle chaque état stimule le développement de l’autre. Le mécanisme semblable à une horloge a donné naissance à un type d’oscillation qui pourrait jouer un rôle dans la création, voire l’amplification, de certaines chaînes de protéines. Cela pourrait avoir des ramifications importantes sur le plan de l’évolution : la boucle de rétroaction a conduit à la création de matériaux beaucoup plus complexes que ceux dont elle était initialement constituée – comme les liaisons hydrogène qui sont à la base de notre ADN.
(de gauche à droite) Dr Sergey Semenov, Alexander Novichkov et Anton Hanopolskyi. Réseaux de réactions chimiques
Bien que les chercheurs ne se soient pas directement intéressés à l’ADN, en utilisant cette méthode, leur mécanisme d' »horloge » a réussi à créer un processus dynamique qui pourrait contribuer à réguler des réactions telles que la réplication de l’ADN. Selon le Dr. Semenov, il s’agit là d’un « exemple de la façon dont un processus simple peut créer des processus complexes dont nous savons qu’ils sont importants pour le fonctionnement et l’expression de l’ADN ».
« L’objectif final est de trouver les mécanismes qui conduisent à des complications biologiques, explique-t-il. Ainsi, si nous voyons un mécanisme comme l’oscillation se mettre en place, alors nous pouvons avancer une hypothèse adéquate sur la façon dont nous sommes passés des matériaux super basiques que nous connaissons grâce à l’astro- ou la géochimie à la vie réelle. »
La science en chiffres
Il faut 120 minutes à l’oscillateur chimique pour passer d’un état à l’autre. Au fil du temps, ces oscillations simples facilitent l’émergence de processus chimiques complexes