La créativité nait d’une activité neuronale spontanée

Les idées créatives sont liées à des fluctuations au repos qui commencent comme une sorte de bruit

Nicola Tesla a inventé son moteur à induction à courant alternatif alors qu’il se promenait, Margaret Atwood a eu l’idée de ses romans en observant des oiseaux et Archimède a formulé les lois de la flottabilité assis dans son bain. Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences proposent une explication à ces mystérieux moments d’inspiration qui émergent des profondeurs de notre inconscient. Dirigés par Rotem Broday-Dvir au sein de l’équipe du professeur Rafi Malach du Département de Neurobiologie, ces chercheurs ont découvert que des vagues spontanées d’activité cérébrale – appelées fluctuations au repos – sont à l’origine de cette capacité humaine étonnante bien que peu comprise. Ils émettent l’hypothèse que ces fluctuations sont un mécanisme universel sous-jacent à la créativité.


Rotem Broday-Dvir et le professeur Rafi Malach

Il y a près de 20 ans, le professeur Amiram Grinvald et le docteur Amos Arieli du Département de Neurobiologie de l’Institut ont initié des recherches sur le phénomène des fluctuations au repos émergeant spontanément – de très lentes fluctuations d’activité neuronale qui se produisent inconsciemment et qui sont distinctes des explosions qui se produisent quand des évènements conscients ont lieu. Ces fluctuations lentes se rapprochent d’une sorte « d’écran de veille » pour le cerveau : elles se produisent quand notre cerveau se repose et ne participe à aucune tâche concrète et aucun processus sensoriel. En se déplaçant à travers les différents réseaux neuronaux du cortex, les fluctuations forment des figures complexes, répétitives et souvent symétriques. Malgré les recherches intensives de ces dernières années, ces fluctuations demeuraient un mystère.

Le professeur Malach et d’autres avaient déjà observé ces lentes fluctuations spontanées, sorte de bruit de fond biologique – provenant d’une faible activité aléatoire de chaque cellule nerveuse. Bien qu’aléatoire, cette activité est modelée par l’immense connectivité qui existe entre les cellules nerveuses dans les réseaux neuronaux. C’est comparable à une audience applaudissant à la fin d’une performance enthousiasmante : ce qui commence par un bruit aléatoire se synchronise alors que les gens coordonnent leurs applaudissements avec leurs voisins. De façon similaire, l’activité des neurones dans le cerveau se déclenche de manière naturellement aléatoire mais se synchronise également grâce aux connexions du réseau afin que ce bruit aléatoire soit converti en fluctuations lentes basées sur le réseau ; elles se produisent dans chaque réseau neuronal du cortex cérébral.

Bien qu’il semble surprenant qu’un tel phénomène issu d’un bruit aléatoire joue un rôle clef dans la créativité humaine, les exemples en ce sens abondent. L’évolution crée de nouvelles espèces grâce à des mutations aléatoires et les réseaux d’intelligence artificielle incorporent souvent du bruit pour optimiser leurs solutions. Rotem Broday-Dvir et le professeur Malach ont émis l’hypothèse que les fluctuations spontanées de l’état de repos peuvent être liées, d’une façon similaire, à la capacité remarquable du cerveau humain à penser de façon créative.

Afin de tester cette idée, les chercheurs ont mené une série d’expériences au cours desquelles des participants devaient accomplir des tâches basiques utilisées pour évaluer les comportements créatifs ou libres – par exemple, trouver de nouveaux usages à des objets du quotidien ou nommer autant d’objets que possible dans une catégorie définie (par exemple, les choses bruyantes) – pendant que leurs cerveaux étaient scannés par un appareil d’imagerie à résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf). Les chercheurs ont remarqué que chaque fois qu’un des participants avait une idée créative, l’enregistrement de cette idée était précédé par une faible activité électrique rappelant fortement les fluctuations lentes au repos. Quand les participants devaient accomplir une autre tâche ne nécessitant pas de créativité, ces fluctuations lentes n’apparaissaient pas.

« Nous avons identifié une onde lente ressemblant beaucoup aux fluctuations au repos mais comment prouver que c’était bien la même chose ? » demande Rotem Broday-Dvir. Elle répond : « Nous avons découvert que les fluctuations au repos sont légèrement différentes selon les personnes. Nous avons alors identifié ces fluctuations dans le cerveau de chaque participant avant qu’il accomplisse les différentes tâches. Il existait une corrélation significative entre les fluctuations au repos spontanées et la lente activité précédant l’apparition d’une idée créative. »


IRMf d’un cerveau créatif

Les scientifiques considèrent ce bruit comme un « bruit organisé », modelé par l’architecture unique du réseau neuronal au sein duquel il se produit. Ces architectures sont aussi le reflet de la formation et des préjugés de chacun. « Notre apprentissage et notre formation façonnent nos réseaux neuronaux d’une façon unique qui pourrait permettre aux fluctuations spontanées de produire des idées créatives. Chacun d’entre-nous peut le faire dans son domaine de talent, d’expertise et ses centres d’intérêts personnel, » dit le professeur Malach. « Ce bruit structuré est la façon dont notre cerveau « secoue» ce que nous avons appris pour nous donner de nouvelles idées. »

Il ajoute : « la créativité est peut-être l’aspect le plus significatif du comportement humain. C’est le moteur qui fait avancer notre culture, notre science et nos technologies. Ainsi, comprendre les mécanismes neuronaux sous-jacents à cette créativité peut être important pour mettre en lumière et peut-être même enrichir la pensée créative. »

Les recherches du professeur Rafael Malach sont financées par le Laboratoire pour la Recherche en Neurobiologie du docteur Lou Siminovitch.



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