29 Mai Arides mais Fertiles : les Forêts Semi-Aride Pourraient Contrebalancer le Changement Climatique
Des simulations de modèles climatiques suggèrent que planter des forêts semi-arides à grande échelle pourrait refroidir la planète.
Nous plantons aujourd’hui des forêts car elles sont des « puits de carbone » – elles peuvent contrebalancer l’augmentation des niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Mais toutes les forêts ne se valent pas quand il s’agit de refroidir la planète et il a toujours été difficile de comprendre quelles nouvelles forêts pouvaient faire le mieux dans le temps le plus court. Le résultat d’une nouvelle étude du groupe du Professeur Dan Yakir de l’Institut Weizmann des Sciences, récemment publiée dans Scientific Reports, suggère que planter le bon type de forêts sur de grandes étendues jusqu’ici négligées dans l’effort de reboisement – les régions semi-arides en Afrique et en Australie – pourrait avoir une influence positive mesurable sur le climat et aider à contrebalancer une part significative du réchauffement global induit par l’activité humaine.
Le Professeur Yakir et son groupe du Département des Sciences de la Terre et des Planètes de l’Institut Weizmann possèdent un jeu de données unique sur la relation complexe entre une forêt semi-aride d’une part et atmosphère et climat de l’autre : 16 ans d’informations enregistrées dans une station placée dans la forêt plantée de Yatir à la frontière du désert de Negev. Cette station, gérée par le Docteur Eyal Rotenberg et financée par le Fond national juif (FNJ-KKL), suit les flux de carbone, d’eau, de chaleur et d’autres facteurs de l’écosystème et du climat de ce site forestier semi-aride. Au fil des années, le Professeur Yakir et son groupe ont découvert comment de telles forêts pouvaient maintenir un « budget énergétique » incluant les mécanismes de réchauffement et de refroidissement. Par exemple, les forêts peuvent refroidir le sol en-dessous d’elles, mais les feuilles de couleur sombre piègent les rayonnements du soleil qu’elles libèrent ensuite sous forme de chaleur. Elles ont besoin d’eau mais elles en dégagent aussi par évaporation, mécanisme qui permet un refroidissement de l’air. La forêt de Yatir peut absorber plus de carbone que ce que l’on pensait jusqu’ici, mais cela peut aussi prendre beaucoup de temps pour en voir les bénéfices en termes de refroidissement, en partie parce que la canopée sombre produit plus de chaleur que le sol sableux réfléchissant de couleur claire.
Les forêts semi-aride comme celle de Yatir fournissent des données pour des simulations climatiques
Le Docteur Gil Yosef, alors étudiant chercheur dans le groupe du Professeur Yakir, s’est demandé si les divers facteurs agissant dans une petite forêt semi-aride pourraient jouer le même rôle à une plus grande échelle. Il a pris comme exemples deux régions avec des précipitations faibles identiques : le Sahel, une large région à la frontière du Sahara, et une grande parcelle semi-aride du nord de l’Australie. Il s’est ensuite posé la question suivante : « Le climat serait-il affecté si des forêts comme celles de Yatir étaient plantées dans ces régions ? » Le Docteur Yosef et le Professeur Yakir ont rejoint un groupe de l’Université de Miami (Floride), dirigé par le Professeur Roni Avissar et le Docteur Robert Walko, qui ont conçu un simulateur climatique sophistiqué. Ce modèle a permis au groupe d’exécuter des simulations et de les comparer avec les données réelles acquises sur une période récente de 15 ans. Dans ses simulations, le groupe a ajouté au modèle une forêt imaginaire d’arbres semblables à ceux de la forêt de Yatir. Ces arbres étaient adaptés au climat, avec la bonne sorte de feuilles et de systèmes racinaires, la bonne taille et densité après leur croissance ; ils étaient plantés sur presque toute la surface de ces grandes régions.
Le modèle du Professeur Avissar et du Docteur Walko, l’un des modèles climatiques de dernière génération, a apporté aux scientifiques une sorte de vision télescopique leur permettant d’abord d’examiner les différences dans des zones géographiques à l’échelle de quelques kilomètres, puis de dézoomer pour observer les grands schémas continentaux – pour analyser par exemple, les types de circulations atmosphériques qui créent les nuages et la pluie dans différentes zones. Les données sur une période de 15 ans basées sur la vraie météo ont ajouté plus de nuances aux simulations – en faisant varier les précipitations par exemple.
Un effort de reboisement à grande échelle dans ces régions semi-aride pourrait avoir un gain bien plus important que de planter des arbres dans les régions de haute latitude comme la Scandinavie
Les simulations du Docteur Yosef montrent que planter des forêts à grande échelle dans les deux régions sélectionnées ne ferait pas que produire un refroidissement local : ses effets pourraient s’étendre plus généralement à la circulation atmosphérique régionale et provoqueraient une augmentation significative du niveau de précipitation sur ces zones. Sur la base du modèle, le Docteur Yosef a estimé qu’un reboisement à grande échelle de ces zones pourrait créer un puit de carbone qui serait l’équivalent d’environ 10% de l’absorption globale de carbone de la biosphère, et aiderait à refroidir notre planète surchauffée d’ici environ six ans.
La raison principale de ce phénomène, dit le Professeur Yakir, est que les arbres sont d’excellents « mineurs d’eau ». Les arbres qui poussent dans les régions semi-arides ont tendance à avoir des racines profondes. À grande échelle, des millions d’arbres plongeant leurs racines dans la Terre pour extraire plus d’eau et la faire s’évaporer à travers leurs feuilles devraient rendre la surface mesurablement plus fraîche. Des températures de surfaces plus faibles déclencheraient une succession d’évènements qui augmenterait à terme les précipitations et l’absorption de carbone – et cela dépasserait de loin tout effet négatif de réchauffement lié à la couleur sombre des feuilles.
Dans ce modèle, les simulations localisent l’augmentation des précipitations suite au reboisement en Afrique du Nord
De plus, les chercheurs ont montré que gérer correctement ces forêts pourrait fournir du bois, de la nourriture et du travail aux personnes vivant dans ces régions.
Les forêts sont considérées comme l’un des meilleurs moyens que nous avons aujourd’hui pour compenser le changement climatique global car elles emprisonnent de grandes quantités de carbone. En d’autres termes, elles possèdent simplement une grande biomasse, comparée à d’autres types de couvertures végétales, et puisqu’elles ont une durée de vie élevée, elles gardent le carbone emprisonné pendant longtemps.
Mais les forêts interagissent avec le climat de bien des façons – et pas seulement par leur absorption du dioxyde de carbone de l’atmosphère. Leurs couleurs changent la quantité de radiations absorbées par la surface de la Terre, et ceci couplé à l’évapotranspiration – le déplacement de l’eau des racines aux feuilles puis hors des pores de celles-ci – permet aux arbres d’ajuster leur température interne. Le Professeur Yakir et son groupe ont découvert que certains arbres, s’ils agissent ensemble à une échelle suffisamment grande, peuvent aussi favoriser la formation de nuages. Donc les arbres ne font pas que s’adapter à un climat : ils le façonnent – et façonnent également le nôtre.
Les recherches du Professeur Dan Yakir sont financées par le Centre pour l’Étude des Sciences Environnementales de la Famille Sussman ; et le Programme en Sciences Environnementales Cathy Wills et Robert Lewis.